À l'ombre de la sous-traitance : reconfigurations politiques du travail et des travailleurs au Chili
Institution:
Paris Sciences et Lettres (ComUE)Disciplines:
Directors:
Abstract EN:
In light of the neoliberal transformation of Chilean society, the idea of a depoliticization of labor has emerged as a diagnosis widely accepted. Starting from the distance between the world of labor and institutional politics, this diagnosis remains problematic. By naturalizing social spaces and their evolutionary dynamics, this reading remains blind to the political significance of the societal transformations that have shaped labor, as well as the workers' experiences that escape the traditional means of politicization. To fill these gaps, this research observes labor through the optic of politics, a notion that, according to Claude Lefort, refers to the way a society institutionalizes itself at a symbolic level.Our thesis thus defends the idea that the transformations introduced in Chile at the end of the 1970s have instituted a new shaping of society, a process in which labor has been a first-rate element. The change of the legal framework of labor, the socio-productive restructuring and their socio-cultural resonances have led to a veritable change of its political means of existence in society: by losing its droit de cité, the labor is placed behind the borders of a naturalized economic space. In this context, despite the scope of precariousness, a work's new critique unfolds, of which the outsourcing represents the paradigm.At the material level, outsourcing is a dominant modality of productive flexibility which also bears the authoritarian character of the modernization of Chilean enterprises. On the legal side, in the outsourcing context, the dominant orientations of the country's Labor Law are critical: the high degree of flexibility at the individual level and the overegulation of collective negotiation, which, by remaining limited to each company, reinforce union fragmentation. In terms of workers' experiences, the problematic meeting of heterogeneous conditions and employment status has an impact on social relations. However, in addition to precariousness, these contexts are the scene of a work critique that highlights abuses and discrimination experienced, by mobilizing a new understanding of equality and the democratic experience in Chile. Having studied a vast specialized bibliography and accomplished an empirical investigation resulting in about sixty life stories of workers in three productive sectors, this doctoral research analyzes the consolidation of outsourcing as an intelligibility operator of the political reconfigurations of labor and workers in Chile.
Abstract FR:
À la lumière des transformations néolibérales de la société chilienne, l’idée d’une dépolitisation du travail s’y est imposée comme un diagnostic qui fait largement consensus. Partant de l’éloignement entre le monde du travail et la politique institutionnelle, ce diagnostic reste pourtant problématique et insuffisant. En opérant une naturalisation des espaces sociaux et de leurs dynamiques évolutives, cette lecture demeure aveugle de la portée politique des transformations sociétales qui ont façonné le travail ainsi que des expériences ouvrières échappant aux voies traditionnelles de politisation. Pour combler ces lacunes, cette recherche observe comment le politique apparaît au cœur du travail. Loin d’une compréhension réductrice du champ institutionnel de l’État, le politique fait référence à la manière dont une société s’institue au niveau symbolique. C’est, selon Claude Lefort, une mise en forme de la société qui s’opère à travers des tensions et des conflits déployés au cœur du social. Notre thèse défend ainsi l’idée que les transformations introduites au Chili dès la fin des années 1970, ont institué une nouvelle mise en forme de la société, processus dans lequel le travail a été un élément de premier ordre. En effet, le changement du cadre juridique du travail, la restructuration socio-productive et leurs résonances socio-culturelles ont entrainé une véritable mutation de son mode d’existence politique au sein de la société : en perdant ses droits de cité, le travail est replacé derrière les frontières d’un espace économique naturalisé. Dans ce contexte, malgré la portée de la précarité et des impuissances individuelles et collectives vécues, une critique nouvelle du travail se déploie, en configurant un noyau de tensions politiques, dont la sous-traitance représente bien le paradigme. Au niveau matériel, la sous-traitance est une modalité dominante des stratégies de flexibilité productive des entreprises chiliennes, en mobilisant une proportion croissante de force de travail. Sur le plan juridique, dans les contextes de sous-traitance se retrouvent de façon critique les orientations dominantes de la Loi du travail du pays : le degré élevé de flexibilité de l’emploi à niveau individuel et l’hyper-régulation des négociations collectives, lesquelles, en restant limitées à chaque entreprise, renforcent la fragmentation syndicale. Sur le plan des expériences ouvrières, les contextes de sous-traitance se présentent comme des espaces marqués par la rencontre problématique de conditions et de statuts d’emploi hétérogènes, lesquelles impactent les rapports sociaux et les constructions identitaires. Cependant, par ailleurs la précarité relative, les contextes de sous-traitance constituent le théâtre d’une critique du travail qui met en avant les abus et les discriminations vécues, en mobilisant ainsi une compréhension nouvelle de l’égalité et de l’expérience démocratique au Chili. Ayant à la base l’étude d’une vaste bibliographie spécialisée et une enquête empirique se traduisant par une soixantaine de récits de vie d’ouvriers de trois secteurs productifs, cette recherche doctorale analyse ainsi la consolidation de la sous-traitance, comme étant un opérateur d’intelligibilité des reconfigurations politiques du travail et des travailleurs au Chili.