Ethnographie d'un réseau amical de femmes maghrébines des classes populaires en France
Institution:
Paris Sciences et Lettres (ComUE)Disciplines:
Directors:
Abstract EN:
At the intersection of sociology of work and ethnography of the private life of working-class households, this thesis is devoted to the articulation of the professional and the domestic sphere. It addresses issues of reproduction and social emancipation linked to women’s investment in work and/or family life by taking into account structures and relations of domination, as well as on women’s subjectivities. The research is based on the longitudinal follow-up (between 4 and 6 years old) of about twenty women of Maghrebian origin living in Ile de France. Five interconnected friendship networks are at the heart of an investigation based on observations of these women’s private and public life, recorded interviews and a series of photos. Indeed, the thesis indicates that the priority these women give to motherhood over employment can be traced back to a negative relation to work fueled –amongst others- by arduous working conditions, precarious forms of employment and the daily experience of subordination. Nevertheless, it shows that marital and parental investment also stem from a desire to transmit certain values through family, notably religious values. To sum it up, family is of particular importance, not only because it constitutes a refuge from the working sphere, but also because it allows for the realization of a cultural and moral project. Besides, by emphasizing women’s collective capacity of imagination, this thesis indicates that feminine subjectivities are a site of symbolic struggle against class contempt, social illegitimacy and islamophobia. This thesis also adresses epistemological and methodological questions related to feminist ethnography. In order to produce a situated knowledge, the ethnographic relation is designed as a “touching vision “, allowing for both a circulation and a confrontation of differentiated positions.
Abstract FR:
Au croisement d’une sociologie du travail subalterne et d’une ethnographie du monde privé des ménages populaires, cette thèse se consacre à l’étude des conditions d’articulation entre les sphères professionnelle et domestique. Elle interroge les enjeux de reproduction et d’émancipation sociales qu’impliquent ces orientations professionnelle et familiale en les rapportant aux structures et aux relations de domination, ainsi qu’aux subjectivités des personnes enquêtées. L’enquête s’appuie sur le suivi longitudinal (entre 4 et 6 ans) d’une vingtaine de femmes magrébines des classes populaires, résidant en Ile de France. Cinq réseaux amicaux composés de femmes se trouvent au cœur de l’investigation, qui repose sur des observations des scènes de la vie privée et publique, des entretiens enregistrés et une série de photos. Les parcours scolaires désorientés, les conditions de travail pénibles, la précarité d’emploi, la subordination dans l’exercice de l’activité, la très faible probabilité d’avancement professionnel informent l’investissement (réel et symbolique) des femmes dans la sphère domestique. En effet, étudiant les comportements et les réflexions des femmes au moment de leur maternité, la thèse indique que la priorité donnée au rôle de mère sur l’emploi renvoie d’un rapport négatif au monde du travail. Néanmoins, l’enquête montre que les motivations matrimoniales et parentales sont également révélatrices d’un désir de transmission familiale dont la religion constitue l’élément essentiel. Il apparaît alors que la famille revêt une importance particulière, non seulement parce qu’elle constitue un refuge au regard de la sphère professionnelle, mais aussi parce qu’elle permet la réalisation d’un projet culturel et moral.En insistant également sur les formes d’imaginaire collectif des femmes suivies, cette thèse indique que les subjectivités féminines en milieux populaires peuvent être appréhendés comme le fruit d’une lutte symbolique menée contre le mépris de classe, l’illégitimité sociale et le racisme anti-musulman·e·s. S’appuyant sur le répertoire symbolique et culturel de la population suivie, l’analyse montre que la vérité sur soi et sur le monde constitue un enjeu de domination. Dès lors, le processus discursif de mise en cause des représentations institutionnelles de la réalité se révèle un levier de cette lutte.Dans une perspective plus directement épistémologique et méthodologique, l’expérience ethnographique et les réflexions qu’elle suscite permettent de préciser les possibilités d’une démarche de recherche féministe. En effet, s’attachant à la volonté féministe de produire un savoir situé, cette thèse s’engage à dépasser la relation de recherche désincarnée et construit la relation ethnographique comme une vision réciproque entre la chercheuse et les femmes enquêtées. Rendant les points de résonance et de dissonance saillants, ce dispositif ouvre la voie à une circulation et à une confrontation des positionnements différenciés entre femmes.