La cohésion sociale à l'épreuve de l'individualisme au cours des 40 dernières années en France : du modèle de la compétition à celui de la coopération
Institution:
Paris, EHESSDisciplines:
Directors:
Abstract EN:
The present research studies the tensions between the individualization process, which places the individual as the supreme value of society, and social cohesion. Basing our research on the sociological literature and the study of the representations and behaviors of the french population for the past forty years (collected in the CREDOC Living Conditions Aspirations survey). Our study shows that indeed, the quest for oneself is more and more present in a person's life. Whether it is the search for adequacy between body and self-identity, the construction of self-story on social networks, the growing appreciation of the “entrepreneur” figure, with its supposed freedom and personal fulfillment, or the social cohesion representation that is shaped by everyone behavior. Held in these representations, support for social policies, which remains strong in France, is having trouble with finding its place. Faced with the legitimacy crisis, and funding issues, certain public policies are becoming more targeted, thereby further weakening their legitimacy among the population.More than the individualization process, we find it is the collective competition imagination paired with a social "meritocratic" model that weakens the « vivre ensemble ». This belief of competition, taken from economic liberalism, creates anomie. Is unification between competitors possible? Our work indicates that over the past forty years, several areas of life (housing, digital) have indeed become a way of differentiation and competition. The felt inequalities are increasing in many areas (perceived financial situation, heritage, employment, social ties, housing, health perceived state, feeling of security), creating uncertainty about the future and weakening the "vivre ensemble".We therefore propose three approaches to renew social cohesion, based on the opinions and values collected in the CREDOC Living Conditions and Aspirations survey. The first is to increase openness and recognition of specificities in a French society long thought of as "blind to differences" in order to be fair and unifying. The younger generations in particular place greater importance on the values of respect for others, tolerance and the fight against discrimination. The second approach lies in public authorities and social protection philosophy change towards social investment. This supportive approach seeks to "empower" individuals, going beyond the role of safetyness and reparation. The last one lies in a change in mindset going from individualization now thought of as a mode of competition, to what we have called "cooperative individualization". The respondents, asked to describe the ideal society, evoqued values such as equality, solidarity, sharing, and work, all being dimensions at the heart of cooperation, where everyone takes part in a common society project. The rise of so-called "collaborative" initiatives and theoretical research taking in particular from the theory of the commons of Elinor Ostrom allow us to hope for a concretization of this change in model.
Abstract FR:
La présente recherche étudie les tensions entre le processus d’individualisation, qui place l’individu comme valeur suprême de la société, et la cohésion sociale, en nous appuyant sur la littérature sociologique et l’étude des représentations et comportements de la population française au cours des quarante dernières années, recueillies dans l’enquête Conditions de vie aspirations du CREDOC. Nous montrons qu’en effet, la quête de soi est chaque jour plus présente dans la vie de chacun, qu’il s’agisse de la recherche d’un corps en adéquation avec son identité, de la construction d’un récit de soi sur les réseaux sociaux en ligne, de la valorisation grandissante de la figure d’un entrepreneur, assorti d’un imaginaire de liberté et d’épanouissement personnel, ou de la représentation d’un vivre ensemble avant tout façonné par les comportements de chacun. Pris dans ces représentations, le soutien aux politiques sociales, qui reste fort en France, vacille. Face à la crise de légitimité, et aux questions de financement, certaines politiques publiques, se font plus ciblées, affadissant ce faisant encore la légitimité de celles-ci auprès de la population. Mais davantage que le mouvement d’individualisation nous mettons en évidence que c’est son articulation avec un imaginaire pétri de compétition via un modèle de justice dit « méritocratique » qui fragilise le vivre ensemble. Cet imaginaire de concurrence, emprunté au libéralisme économique, crée l’anomie. Comment être uni avec ses concurrents ? Nos travaux indiquent qu’au cours des quarante dernières années, plusieurs domaines de la vie (logement, numérique) sont ainsi devenus un enjeu de différenciation et de compétition. Les inégalités ressenties progressent dans de nombreux domaines (situation financière ressentie, patrimoine, emploi, lien social, logement, état de santé ressenti, sentiment de sécurité), créant un environnement d’incertitude par rapport à l’avenir et fragilisant le vivre ensemble. Nous proposons alors trois pistes pour une cohésion sociale renouvelée, qui s’appuient sur les opinions et valeurs recueillies dans l’enquête Conditions de vie et Aspirations. La première tient à une plus grande ouverture et reconnaissance des singularités dans une société française longtemps pensée comme « aveugle aux différences » pour pouvoir être juste et unificatrice. Les jeunes générations accordent en particulier une importance accrue aux valeurs de respect d’autrui, de tolérance et à la lutte contre les discriminations. La deuxième réside dans une évolution de la philosophie des pouvoirs publics et de la protection sociale vers une démarche d’investisseur social, d’accompagnateur cherchant à « rendre capable » les individus, dépassant le rôle de filet de sécurité et de réparation. La dernière piste réside dans un changement d’imaginaire d’une individualisation aujourd’hui pensée sur le mode de la compétition, à ce que nous avons appelé l’« ’individualisation coopérative ». Les enquêtés, invités à décrire ce que serait une société idéale, convoquent en effet des valeurs telles que l’égalité, la solidarité, le partage, et le travail, autant de dimensions au cœur de la coopération, où chacun prend part à une œuvre en commun. L’essor d’initiatives dites « collaboratives » et des recherches théoriques puisant notamment dans la théorie des communs d’Elinor Ostrom permettent d’espérer une concrétisation de ce changement de modèle.