Gouverner la faim dans le monde ? : le paradigme de la sécurité alimentaire mondiale, ses instruments et ses critiques (1974-2014)
Institution:
Paris EstDisciplines:
Directors:
Abstract EN:
The 2008 global food crisis, characterized by soaring world food prices and "hunger riots" in several countries of the South, is putting the political and epistemic foundations of global hunger governance to the test. This crisis has reinforced the credibility of alternative visions of the world hunger problem (right to food, food sovereignty) that challenge the dominant paradigm, that of global food security. Born following the 1974 world food crisis, the latter has established itself in international organizations (FAO, World Bank, Consultative Group on International Agricultural Research (CGIAR)) through certain disciplines (neoclassical economics, genetics) and quantifications (international statistics, global models), as well as a hierarchy of international agricultural law dominated by the GATT.The thesis focuses on the efforts of advocates of food sovereignty and the right to food to transform the dominant paradigm by co-producing with these international organizations - which are opening up to non-state actors in an unprecedented way during the 2008 crisis - new knowledge and new metrological and legal instruments. At the end of these processes, the global food security paradigm remains defended by several powerful States, benefiting from the renewed support of agri-food companies and philanthropic foundations, while having internalized some of the criticism received. It also benefits from the lock-in of different instruments that are studied in the thesis (expert reports, quantifications, international law). In parallel, the right to food and food sovereignty are being institutionalized in these international organizations through these new instruments, that some critical actors see as the milestones of a new paradigm "in the making".The thesis is based on a multi-site and multi-level ethnographic survey conducted among experts from international organizations (FAO, Special Rapporteur on the Right to Food, World Bank), French diplomacy within the UN Committee on World Food Security, international social movements and NGOs, and multinational agri-food companies and philanthropic foundations. It also analyses written sources: press database; archives; and grey literature.The thesis mobilizes the neo-institutionalist theory of fields, in order to capture a controversial global governance through the prism of competition between instruments. Thus, it differs from work based on the theory of international regimes, mobilized both in political science (with epistemic communities) and in Science & Technology Studies (through the co-production between politics and knowledge regimes). It shows the interest of an approach to co-production between science and politics located at the scale of the instruments of global governance, which are the stakes of struggles to acquire a form of epistemic jurisdiction. It also analyses the drivers of the persistence and change of international paradigms, complementing the entry by epistemic communities with a look at the instruments and the locking effects they produce, but also the "grasps" they offer to institutionalize alternatives. Finally, it completes the diagnosis of the fragmentation and privatization of international agricultural policies, by showing the growing weight of non-state actors (civil society, but also agri-food companies, and the Gates Foundation) in the making of global instruments of "world hunger".
Abstract FR:
La crise alimentaire mondiale de 2008, caractérisée par une envolée des prix alimentaires mondiaux et des "émeutes de la faim" dans plusieurs pays du Sud, met à l’épreuve les fondements politiques et épistémiques de la gouvernance mondiale de la faim. Cette crise a renforcé le crédit des visions alternatives du problème de la faim dans le monde (droit à l’alimentation, souveraineté alimentaire) qui contestent le paradigme dominant, celui de la sécurité alimentaire mondiale. Né à la suite de la crise alimentaire mondiale de 1974, ce dernier s’est imposé dans les organisations internationales (FAO, Banque mondiale, Consultative Group on International Agricultural Research (CGIAR)) à travers certaines disciplines (économie néo-classique, génétique) et quantifications (statistiques internationales, modèles mondiaux), ainsi qu’une hiérarchisation du droit international de l’agriculture dominée par le GATT.La thèse porte sur les efforts des partisans de la souveraineté alimentaire et du droit à l'alimentation pour transformer le paradigme dominant en coproduisant avec ces organisations internationales – qui s'ouvrent aux acteurs non-étatiques de manière inédite à l'occasion de la crise de 2008 – de nouveaux savoirs et de nouveaux instruments métrologiques et juridiques. A l'issue de ces processus, le paradigme de la sécurité alimentaire mondiale reste défendu par plusieurs diplomaties puissantes, bénéficiant de l'appui renouvelé des entreprises agro-alimentaires et fondations philanthropiques, tout en ayant internalisé une partie des critiques reçues. Il bénéficie aussi des effets d’irréversibilité propres à différents instruments qui sont étudiés dans la thèse (rapports d’experts, quantifications, droit international). En parallèle, le droit à l'alimentation et la souveraineté alimentaire connaissent une institutionnalisation dans ces organisations internationales à travers ces nouveaux instruments, que certains acteurs critiques voient comme les jalons d’un nouveau paradigme « en train de se faire ».La thèse repose sur une enquête ethnographique multi-sites et multi-niveaux menée auprès des experts des organisations internationales (FAO, Rapporteur Spécial pour le Droit à l'Alimentation, Banque mondiale), auprès de la diplomatie française au sein du Comité de la Sécurité Alimentaire mondiale de l’ONU, auprès des mouvements sociaux et ONG internationales et auprès des entreprises multinationales de l’agro-alimentaire et fondations philanthropiques. Elle analyse aussi des sources écrites : base de presse ; archives ; et littérature grise.La thèse mobilise la théorie néo-institutionnaliste des champs, afin de saisir une gouvernance globale controversée au prisme des concurrences entre instruments. Ainsi, elle se distingue des travaux fondés sur la théorie des régimes internationaux, mobilisée à la fois en science politique (avec les communautés épistémiques) et en Science & Technology Studies (à travers la coproduction entre politique et régimes de savoirs). Elle montre l’intérêt d’une approche de la coproduction entre science et politique située à l’échelle des instruments de la gouvernance globale, qui sont les enjeux de luttes pour acquérir une forme de juridiction épistémique. Elle analyse aussi les ressorts de la persistance et du changement des paradigmes internationaux, en complétant l’entrée par les communautés épistémiques par un regard porté sur les instruments en considérant à la fois les effets de verrouillage qu'ils créent, mais aussi les « prises » qu’ils offrent aux acteurs pour institutionnaliser des alternatives. Elle complète enfin le diagnostic de la fragmentation et de la privatisation des politiques agricoles internationales, en montrant le poids croissant des acteurs non-étatiques (société civile, mais aussi firmes, et fondation Gates) dans la fabrique des instruments globaux de la « faim dans le monde ».