Les stratégies d'acteurs dans les collaborations scientifiques avec le Sud : chercheurs et agences de financement dans les sciences sociales
Institution:
Sorbonne Paris CitéDisciplines:
Directors:
Abstract EN:
In recent decades scientific research has been marked by a transformation of funding methods. Formerly financed mainly by core funding, what prevails now is project funding through calls for projects, which results in increased competition. In addition, a number of policies and practices lead to the definition of a limited number of research topics eligible for funding. These developments, which go hand in hand with the rise of international scientific collaborations, have led to major changes in scientific communities, their activities and their productions, forcing researchers to enter into a close relationship with funding agencies. The former global configuration of research where a small number of Northern agencies were subsidizing Southern "research for development" projects has given way to the proliferation and restructuring of funding agencies both in the South and the North. On the basis of these evolutions, we asked ourselves two main questions: in what way do researchers in the social sciences mobilize the different actors of research (funding agencies, social actors) in the framework of international research projects, from their design to their realization? How do these strategies differ according to the organizational modes and policies of the agencies funding the projects? Based on the actor-network theory of B. Latour and M. Callon, and particularly on the concept of "interessement", we examine the mobilization strategies of researchers involved in international collaborative projects in the social sciences, within the framework of translation operations and knowledge production processes that characterize research practice. We interviewed 59 researchers who participated in projects funded by 3 funding agencies with very different research policies and modes of operation: the European Commission (FP7 projects), the Center for Coordination of Research (CCR) of the International Federation of Catholic Universities, and Canada's International Development Research Center (IDRC). First, we investigated researchers' strategies to obtain funds for international research and their appropriation of agencies' cognitive frames. Topic choice was examined through their specialization, their disciplinary membership, the results of previous projects, the policy of their institution, their deep motivations, the reality of the phenomena studied in their context, or the resources available. Secondly, we looked at strategies to mobilize non-academics, and at the mechanisms linking research and society in the process of bringing the sciences into democracy. We have thus identified the approaches enabling researchers to associate social and political actors with their research and to bring their results out of academic circles. Our research shows strategies that follow a cumulative process over time, such as that evoked in B. Latour's and S. Woolgar's theory of "credibility cycles". In addition, these strategies allow us to interpret finely the processes leading to projects' realization, which diverge considerably according to the researchers and the agencies, but which underline the capacity of Southern researchers to position themselves as full-fledged actors (actor-networks). This also brings us to reinterpret international collaborations.
Abstract FR:
Au cours des dernières décennies la recherche scientifique a été marquée par une transformation des modes de financement. Autrefois financée plutôt sur des crédits récurrents, elle est aujourd'hui financée pour l'essentiel sur projets et par des appels à projets qui ont pour conséquence une compétition accrue. De plus, un certain nombre de politiques et de pratiques conduisent à définir un nombre limité de thématiques de recherche éligibles au financement. Ces évolutions, qui vont de pair avec l'essor des collaborations scientifiques internationales, ont entraîné des changements majeurs dans les communautés scientifiques, leurs activités et leurs productions en obligeant les chercheurs à rentrer dans une étroite relation avec les agences de financement. L'ancienne configuration mondiale de la recherche où un nombre réduit d'agences du Nord subventionnait des projets de recherche pour le développement du Sud a cédé face à la prolifération et la restructuration des agences de financement au Sud et au Nord. Sur la base de ces évolutions, nous nous sommes posés une double question: de quelle manière les chercheurs en sciences sociales mobilisent-ils les différents acteurs de la recherche (agences de financement, acteurs sociaux) dans le cadre de projets de recherche internationaux, depuis leur conception jusqu'à leur réalisation ? De quelle manière ces stratégies diffèrent-elles en fonction des modes organisationnels et des politiques des agences subventionnant les projets ? En nous appuyant sur la théorie de l'acteur-réseau de B. Latour et M. Callon, et notamment sur le concept d'« intéressement », nous examinons les stratégies de mobilisation des chercheurs participant à des projets de collaboration internationale en sciences sociales dans le cadre des opérations de traduction et des processus de production des connaissances caractérisant l'exercice de la recherche. Nous avons interviewé 59 chercheurs ayant participé à des projets financés par 3 agences de financement présentant des politiques de recherche et des modes de fonctionnement très différents : la Commission européenne (projets du 7ème PCRD), le Centre de Coordination de la Recherche (CCR) de la Fédération Internationale des Universités Catholiques, et le Centre de Recherches pour le Développement International (CRDI) du Canada. Premièrement, nous avons enquêté sur les stratégies des chercheurs pour obtenir des fonds pour des recherches internationales et sur leurs formes d'appropriation des cadres cognitifs des agences. Les choix des thématiques retenues ont été examinés au prisme de leur spécialisation, de leur appartenance disciplinaire, des résultats issus de projets précédents, de la politique de leur institution de rattachement, de leurs motivations profondes, de la réalité des phénomènes étudiés dans leur contexte, ou encore des ressources disponibles. Deuxièmement, nous nous sommes penchés sur les stratégies permettant d'intéresser des acteurs non-académiques, et sur les dispositifs faisant le lien entre la recherche et la société dans les processus de mise en démocratie des sciences. Nous avons ainsi identifié les démarches permettant aux chercheurs d'associer des acteurs sociaux et politiques à leurs recherches et de porter leurs résultats hors des cercles académiques. Notre recherche permet de montrer des stratégies qui suivent un processus cumulatif dans le temps comme celui évoqué dans la théorie des « cycles de crédibilité » de B. Latour et S. Woolgar. De plus, ces stratégies nous permettent d'interpréter finement les processus nécessaires pour la réalisation des projets, qui divergent considérablement selon les chercheurs et les agences, mais qui soulignent la capacité des chercheurs du Sud à se positionner en tant qu'acteurs à part entière (acteurs-réseau). Ceci nous amène également à réinterpréter les collaborations internationales.