L'adolescence mutilée : grammaires de la souffrance au Chili et en France
Institution:
Sorbonne Paris CitéDisciplines:
Directors:
Abstract EN:
Since the late 20th century, self-injurious practices (scratching, cutting and burning of body tissue) among adolescents have become a major problem for mental health institutions and professionals. Adolescents who self-injure themselves have become a contemporary figure of the suffering subject. Several psycho-medical studies have provided an analysis of the reasons for this practice and the problems associated with it (impulsivity, depression, suicidal behaviour, etc.). However, little importance was attached to the lived experience and ordinary life of adolescents, the language they use to describe their suffering, as well as the representations of health professionals and their care practices. The purpose of this thesis is to study the subjective and sociocultural dimensions of deliberate self-injury in adolescence. What are the main changes in taxonomies and etiological explanations of self-harm? What does it mean for adolescents and how is it experienced in their daily lives? What are the representations, attitudes and practices of mental health professionals regarding these phenomena? To answer these questions, this study is based on an analysis of secondary literature and an ethnographic work, conducted by observation and interview, in mental health institutions in Santiago (Chile) and Paris (France), among adolescents aged 12 to 19 (n=40) and health professionals (n=51). The different levels of analysis make it possible to highlight how the "corte" [cutting] or "scarification" has become a possible practice for adolescents, its social uses and the particular emotional tone associated with it in each society ("rabia" [anger] in Chile and "angoisse" [anguish] in France). While self-injury is a form of emotional regulation, adolescents' narratives show that it is simultaneously a form of social regulation, a paradoxical self-care strategy that restores continuity to ordinary life at times when the individual is confronted with an experience of loss of control and a crisis of agency. The study also shows the differences in emphasis between a familyist perspective that understand this behaviour as a symptom of a "dysfunctional family" (Chile) and a perspective that understand it as a form of "passage à l'acte" that reflects the excesses of "état limites" (France). Based on a description of care practices, it analyses the cultural logics of therapeutic rituals and the main difficulties for the institutional management of adolescent self-harm. Based on a comparative perspective of singularization by contrast, the study highlights the links between a system of collective representations, values and beliefs, and a grammar of suffering that regulates how emotions and malaise are expressed, qualified and treated in two individualistic societies.
Abstract FR:
Depuis la fin du XXe siècle, les pratiques d'automutilation (grattages, coupures et brûlures sur le tissu corporel) chez les adolescents sont devenues un problème important pour les institutions et les professionnels de santé mentale. Les « automutilateurs », ayant acquis une visibilité sociale, sont devenus l'une des figures contemporaines du sujet souffrant. De nombreuses études psycho-médicales ont fourni une analyse du pourquoi de cette pratique et des problèmes qui y sont associés (impulsivité, dépression, comportement suicidaire, etc.). Néanmoins, peu d'importance a été attachée à l'expérience vécue et à la vie ordinaire des adolescents, au langage qu'ils utilisent pour décrire leur souffrance, ainsi qu'aux représentations des soignants et leurs pratiques de soin. Cette thèse a pour objet l'étude des dimensions subjectives et socioculturelles des pratiques d'automutilation à l'adolescence. Quels sont les principaux changements dans les taxonomies et les explications étiologiques de l'automutilation ? Quelle est sa signification pour les adolescents et comment est-elle vécue dans leur vie quotidienne ? Quelles sont les représentations, les attitudes et les pratiques des professionnels de la santé mentale concernant ces phénomènes ? Pour répondre à ces questions, cette thèse est fondée sur une analyse de littérature secondaire et sur une enquête ethnographique, menée par observations et entretiens, dans des institutions de santé mentale à Santiago (Chili) et à Paris (France), auprès d'adolescents âgés de 12 à 19 ans (n=40) et de professionnels de la santé (n=51). Les différents niveaux d'analyse permettent de mettre en lumière la façon dont le « corte » [coupure] ou la « scarification » est devenue une pratique envisageable pour les adolescents, ses usages sociaux et la tonalité émotionnelle particulière qui lui est associé dans chaque société (« rabia » [colère] au Chili et « angoisse » en France). Si l'automutilation représente une forme de régulation émotionnelle, les récits des adolescents montrent qu'elle est simultanément une forme de régulation sociale, une stratégie paradoxale d'auto-soin qui permet de rendre continuité à la vie ordinaire face à des moments où l'individu se voit confronté au sentiment de perte de contrôle et à une expérience de crise de la capacité à agir. La thèse montre également les différences d'accent entre une perspective familialiste qui conçoit ce comportement comme le symptôme d'une « famille dysfonctionnelle » (Chili) et une perspective qui le conçoit comme une forme de « passage à l'acte » qui reflète les débordements des « états limites » (France). À partir d'une description des pratiques de soin, elle analyse les logiques culturelles des rituels thérapeutiques et les principales difficultés pour la gestion institutionnelle de l'automutilation. Sur la base d'une perspective comparative de singularisation par contraste, la thèse met en évidence les liens entre les systèmes de représentations collectives, de valeurs et de croyances, et une grammaire de la souffrance qui règle la manière dont les émotions et les diverses formes du mal-être sont exprimées, qualifiées et traitées dans deux sociétés individualistes.