Des "imams importés" aux "théologiens natifs" : formation des cadres religieux musulmans en France et en Allemagne
Institution:
Paris, EHESSDisciplines:
Directors:
Abstract EN:
This Ph.D. dissertation describes personal, academic and professional trajectories of young Muslims, born and raised in France and Germany, who attend Turkish universities through an interstate program for the training of native Muslim religious personnel called “International Theology.” Returning to their countries of birth, after having a B.A. degree in theology, these young Muslims are employed by religious associations as imam-khatib, preacher, Coran teacher or representative of mosques. This work places their trajectories within a European context in which imams or religious leaders have come to be regarded as a problem even a threat, whose solution is to be found in “proper training” under the control of the secular states seeking to regulate “Europe’s new religion” more efficiently. Based on empirical research in France, Germany and Turkey, the dissertation analyzes this process as a means of integrating Muslims to the larger society by recognizing some of their religious claims while at the same time sending them back to their particular community. Since the secular state needs a well-defined representative body as an interlocutor for the nationalization of Islam and “naturalization” of Muslims, integration to the larger society requires defining Islam as a religion and Muslims as a “religious community” within the framework of existing legal-political structures. This process reveals the well-entrenched Christian underpinnings of French laicity and German secularity, which represent two different systems of European secularism. Both have difficulties adapting Islam to fit within long established structures that have historically managed State-Church relations. At the subjective level, the dissertation explores the ways in which governmental policies empower young Muslims as the “native imams-theologians” while at the same time subjecting them to new techniques of governmentality, which aim at constituting Muslim subjects “compatible” with European democracies. The main argument of the dissertation is two-fold. First, these young Muslim religious personnel exercise their agency in the interstices of new desires and old ties: to serve Islam in French or in German, on the one hand, and, on the other, to reconfigure their complex relations with the Turkish language, with Turkey, and with the institutions built by the first generations of Turkish migrants in Europe. Second, their engagements in the European mosques and at the centers of interfaith dialogue create new spaces in which Turkish Islam in Europe is being redefined along with the boundaries between the three monotheisms. At a more theoretical level, this work broaches the stakes of religious plurality in the twenty-first century, driving European governments to de-absolutize their secular norms in dealing with religions and ushering in new religious social actors, Muslim as well as Christian, to re-theologize interfaith relations on more equal terms.
Abstract FR:
Cette thèse de doctorat retrace les trajectoires personnelles, scolaires et professionnelles des jeunes musulmans, étant nés et ayant grandi en France et en Allemagne, qui partent en Turquie pour étudier la théologie, à travers un programme interétatique, destiné à la formation des cadres religieux musulmans natifs et appelé « théologie internationale ». Retournant dans les pays de leur naissance avec un diplôme d’État, ces jeunes sont engagés par les associations religieuses en tant qu’imam-khatib, prédicateur, enseignant du Coran ou responsable des mosquées. Notre travail inscrit ces trajectoires dans un contexte européen marqué par un « problème de l’imam », dont la solution serait une « formation adéquate » sous le contrôle des États séculiers, qui cherchent à réguler la « nouvelle religion de l’Europe ». Sur la base d’une recherche empirique réalisée en France, Allemagne et Turquie, la thèse analyse ce processus, à l’échelle nationale, en tant que moyen d’intégrer les musulmans à la société globale par une reconnaissance de leurs revendications religieuses, les renvoyant dans le même temps à leurs communautés spécifiques. Dans la mesure où l’État séculier requiert un interlocuteur bien délimité afin de pouvoir nationaliser l’islam et « naturaliser » les musulmans, le cadre des structures juridico-politiques existantes les oblige à se définir comme des communautés religieuses. Ce processus dévoile les soubassements éminemment chrétiens de la laïcité française et de la sécularité allemande, deux modèles différents de sécularisme européen ayant des difficultés à accommoder les structures historiquement établies régissant les relations État-Église afin d’y inclure l’islam. À l’échelle de la subjectivité, cette thèse explore les manières dont les politiques gouvernementales assujettissent ces « imams-théologiens natifs », dans les deux sens du mot : à la fois en faisant d’eux des sujets tout en les soumettant aux nouvelles techniques de gouvernementalité, dont le but est de fabriquer des acteurs musulmans « compatibles » avec les démocraties européennes . Ces jeunes cadres religieux musulmans exercent leur capacité d’agir dans les interstices de nouveaux désirs et d’anciens liens : la volonté de servir l’islam en français et en allemand, d’une part, et la nécessité de reconfigurer leurs relations complexes avec la langue turque et la Turquie, d’autre part, mais aussi avec les institutions religieuses appartenant aux premières générations d’immigrés. Leurs engagements au sein des mosquées européennes et des centres de dialogue interreligieux créent également de nouveaux espaces, dans lesquels l’islam turc en Europe ainsi que les frontières entre les trois monothéismes européens sont en cours d’être redéfinies par des élaborations théologiques comparatives. De manière plus générale, ce travail aborde les enjeux que la nouvelle pluralité religieuse pose à la fois aux États séculiers et aux acteurs religieux, conduisant les uns vers une désabsolutisation de la laïcité ou de la sécularité comme la norme hégémonique régissant les relations États-religions, et incitant les autres à une redéfinition théologique de leur religion respective à pied d’égalité.