Le joug de la lucha : l'ancrage socio-historique du régime castriste : de 1959 à nos jours
Institution:
Paris, EHESSDisciplines:
Directors:
Abstract EN:
The limits that the State imposes on private economic activities as well as the precariousness of living conditions lie at the heart of contemporary Cuban society. Luchar is the verb that designates the way that everyone gets by in daily life and suggests that the line between lawful and unlawful activities is always ambiguous. However, the lucha is more than the Cuban version of making ends meet. It is a total social phenomenon that must be understood through the ethnographic description of practices and situations in order to comprehend the effectiveness of tacit local norms and the way that luchadores adapt to nonnegotiable constraints and perpetuate a specific sense of reality. The description of multiple experiences of la luchaprogressively leads to a synoptic view and brings to light a form of life. Luchadores are prisoners of la lucha: they accept the state of chronic indecision in which they live and the fact that the scope of their actions is extremely limited. La lucha is the modality through which society and individuals have adapted to an ensemble of rules and a sense of reality that they no longer question as long as they manage to live in the social realm. In order to do so, they continually endeavor to create and preserve routines. While deviating from the socialist legality and the ideological purity of the new man, those routines still integrate the normative objectives of the leaders. In that sense, la lucha is also what remains of the Cuban totalitarian project once the leaders have accepted the fact that their ideal – to transform society into an indivisible community – is out of reach in the short term.
Abstract FR:
Au sein de la société cubaine contemporaine, les limites imposées par l’Etat sur les activités économiques privées s’ajoutent à la précarité des conditions de vie matérielles, et tous ou presque en sont réduits à « lutter » aux marges du légal et de l’illégal pour joindre les deux bouts. Mais davantage que la déclinaison cubaine de la débrouille, la lucha est un fait social total qui invite à la description ethnographique de pratiques en situation, afin de mieux comprendre les normes tacites et locales dans lesquelles elle s’inscrit, les contraintes spécifiques auxquelles elle renvoie et le sens de la réalité qu’elle véhicule. Les pistes de la lutte mènent petit-à-petit à une vue synoptique. La multiplication des points de vue, combinée à l’analyse, permet finalement, tout en suivant des pistes hachées, de cerner une forme de vie. La lutte est un joug : ses protagonistes acceptent l’état d’indécision chronique, et la limite consistant à n’agir qu’à la marge du possible. Elle est la modalité à travers laquelle la société et les individus se sont adaptés à un ensemble de règles et à un sens de la réalité dont ils acceptent la fatalité, ce dès lorsqu’ils parviennent à habiter l’espace social. Pour cela, ils s’attachent perpétuellement à créer et à préserver des routines. Disparates. Celles-ci, tout en s’écartant de la légalité socialiste et de la pureté idéologique de« l’homme nouveau », intègrent les attentes normatives des dirigeants. Mais en ce sens, la lutte est aussi ce qui reste du projet totalitaire cubain, une fois que les dirigeants ont accepté le fait que son idéal, transformer la société en communauté conquérante, épurée et indivisible, est hors d’atteinte à moyen terme.