thesis

Mourir en moderne : une sociologie de la délégation

Defense date:

Dec. 7, 2020

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Institution:

Paris, EHESS

Disciplines:

Abstract EN:

In France, since the early XIXth century, a delegation has been implemented to entrust medical professionals with objectivation tasks regarding the dying and the dead and with the handling of their bodily states (death certificate, management of apparent deaths, hygienisation of the corpse, etc.). This medical delegation was strongly criticised during a political crisis of dying in the 1970s. However, far from regressing, it has instead expanded and strengthened. This thesis seeks to understand how the criticism aimed at the medical delegation had the effect of expanding it, or even strengthening it, rather than undermining it. To understand this paradox, the thesis deploys a historical and ethnographic investigation. A study of the complaints brought against this medical delegation from the end of the XVIIIth century to the last third of the XXth century shows that this delegation, which we have called a "simple" delegation, was marked from the outset by a tension between two tendencies : a tendency to objectivise the bodies of the dying and the dead and a tendency to subjectivise the dying and the dead as individuals who are wanting, feeling, and carrying a biographical memory. However, the subjectivation’s tendency initially unfolded outside hospitals. Only after a widespread political crisis and the mobilisation of various actors in the 1970s and 1980s – patients' associations, relatives, religious leaders and social science intellectuals – did the medical profession internalise this subjectivation imperative, by setting up new sectors of care accessible to relatives, devoted to the end of life and to funeral visits. Care professionals are not deprived of their mandates. Rather, the "simple" delegation has been transformed into a more "reflexive" delegation in charge of objectivising and subjectivising the dying and the dead in the presence of their families. The ethnographic fieldwork carried out in three hospital wards (in general oncology, palliative care and a mortuary room) then examines the difficulties and internal paradoxes generated today by the requirement for medical professionals to handle both technical objectivation tasks and subjectivation tasks towards the dying and the dead, bearing in mind the patient's point of view and that of their families. The interplay of cross-criticism between the objectivation and subjectivation of the dying and the dead is maintained in the collaboration between patients, families and carers, as it makes explicit a tension which originates in the daily practices of professionals. This sociological analysis of a delegation and its modernisation "in tension" then reveals the work behind being treated "as a person" in a healthcare institution. If the secularisation of care, which is at the origin of its objectivism, does indeed appear to be a typical phenomenon of our societies, it does not lead to the reduction of the human being to his or her bodily dimension alone. On the contrary, our investigation tends to prove that a secular cult of the person, between objectivism and subjectivism, is observable in the hospital upon the patient's death – nevertheless, it is based on the ability of professionals to broaden the definition of their professional errors based on their collaboration with patients and their relatives. This thesis, whilst renewing a Durkheimian approach, underlines how the possibility of treating patients on the basis of an imperative of personalisation depends, in our societies, on a certain state of the division of labour and of its regulation.

Abstract FR:

En France, on a assisté, depuis le début du XIXe siècle, à la mise en place d’une délégation pour confier à des professionnels de la médecine des tâches objectivantes à l’égard des mourants et des morts et gérer leurs états corporels (certificat de décès, gestion des morts apparentes, hygiénisation du cadavre, etc.). Cette délégation médicale a été vivement critiquée au cours d’une crise politique du mourir dans les années 1970. Or, loin de régresser, elle s’est plutôt étendue et renforcée. Cette thèse cherche à comprendre comment la critique portée à l’encontre de la délégation médicale a pu avoir pour effet de l’étendre, voire même de la renforcer, et non de la limiter. Pour comprendre ce paradoxe, la thèse déploie une double enquête historique et ethnographique. L’étude des plaintes portées à l’encontre de cette délégation médicale, de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au dernier tiers du XXe siècle montre que cette délégation, que nous avons appelée délégation « simple », est d’emblée traversée par une tension entre deux tendances : une tendance à l’objectivisme du corps des mourants et des morts et une tendance à leur subjectivisme, en des individus porteurs d’une volonté et d’une mémoire biographique. Cependant, la tendance à la subjectivation s’est d’abord déployée en dehors des hôpitaux. Ce n’est qu’après une crise politique généralisée et la mobilisation de divers acteurs dans les années 1970-1980 – des associations de patients, des proches, des religieux et des intellectuels issus des sciences sociales – que la médecine internalise cette exigence subjectivante, à travers la mise en place de nouveaux secteurs de soins ouverts aux proches et consacrés à la fin de vie et aux visites funéraires. Les professionnels du soin ne se voient pas retirer leur mandat. La délégation « simple » s’est plutôt transformée en une délégation plus « réflexive » ayant la charge de l’objectivation et de la subjectivation des mourants et des morts. L’enquête ethnographique menée dans trois services de soins (en cancérologie générale, en soins palliatifs, et dans une chambre mortuaire) examine alors les difficultés et les paradoxes internes que génèrent, aujourd’hui, l’exigence faîte aux professionnels de la médecine de gérer des tâches techniques objectivantes et des tâches subjectivantes auprès des mourants et des morts, en tenant compte du point de vue du malade et de celui de leurs proches. Le jeu de critiques croisées, entre l’objectivation et la subjectivation des mourants et des morts, se maintient dans la collaboration entre patients, familles et soignants, du fait qu’il rend explicite une tension dont l’origine se trouve dans les pratiques quotidiennes des professionnels. Cette analyse sociologique de la délégation et de sa modernisation « en tension » révèle alors le travail qui sous-tend le fait d’être traité « en une personne » dans une institution de santé. Si la sécularisation des soins, à l’origine de leur objectivisme, apparait bien comme un phénomène typique de nos sociétés, elle ne conduit pas à la réduction de l’humain à sa seule dimension corporelle. Notre enquête tend à prouver, au contraire, qu’un culte séculier de la personne, entre objectivisme et subjectivisme, est observable dans l’hôpital au moment de la mort du patient - néanmoins, il repose sur la capacité des professionnels à élargir la définition de leurs erreurs professionnelles à partir de leurs collaborations avec les patients et leurs proches. Cette thèse, qui renoue avec une perspective durkheimienne, souligne ainsi en quoi la possibilité de traiter des patients à partir d’une exigence de personnalisation dépend, dans nos sociétés, d’un certain état de la division du travail et de sa régulation.