thesis

La question de la traduction dans la théorie et la clinique psychanalytiques : « l'infans traducteur » de Jean Laplanche à l'épreuve du transfert et de l'après-coup

Defense date:

Nov. 19, 2018

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Institution:

Sorbonne Paris Cité

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Abstract EN:

This research explores Jean Laplanche's translational model from both a clinical and theoretical perspective. Laplanche spent his life translating Freud from the German and studying Freud in a non-dogmatic way. His critique of Freud's contradictions and theoretical impasses aimed to renew French psychoanalytic thought which in the 1960s and 70s was either stagnating or under the domination of Lacan's interpretation of Freud. His « translational model » reflects this heritage: his wish was to reinvent a theory open to discussion and criticism, opening new avenues for psychoanalytic research. The author's interest in Laplanche's theory stems from her own experience as a psychoanalyst and translator. The translational model is thus the result of rigorous research and experience; its aim is, among others, to rethink the origin and function of the sexual drives. Laplanche criticizes the Freudian theory whereby the source of the drives is to be found in bodily excitation. For Laplanche, the drives are not "mythical entities" but the result of the traumatic confrontation between the infant and the sexual adult. The infant's drive to "translate" thus comes from the "implantation" of sexual drives through enigmatic messages unwittingly transmitted by the caring adult. This adult can be related to the Nebenmensch Freud wrote about in his Project for a scientific psychology (1895). Indeed, in Laplanche's model, translation is the first psychic activity of the infant, born helpless, passive and dependent on adult care. What the child is unable to process becomes an untranslated "left-over", implanted in the child's body or in the deeper recesses of the unrepresented unconscious (the unconscious of primary repression), offering itself up to future translation. The question then arises: how can this "translational process" be clinically described? Is the term "translation" appropriate? Can translation be considered at once as the origin and a vicissitude of the drives? Laplanche based his exploration of the origins of the individual repressed unconscious on his close study of Freud's early works, in particular Freud's own "translational model" described in a letter to Fliess of 1896. His investigation led him to return to the theory of seduction as a "repressed theory" of psychoanalysis, extending its meaning to a general theory of the origins of infantile sexuality: seduction is at the root of all adult-child relationships, he says, and for this reason we have all been and continue to be "infant translators". His model is not a linguistic model in that translation comes before language. The clinical examples focus on what Laplanche called the process of « translation-detranslation-retranslation », with a special emphasis on "detranslation" in the context of the analytic situation, in the "après-coup" of the transference relationship between patient and analyst. This back-and-forth, circular movement between primary and secondary processes can be compared to the internal, psychic, and non-verbal work of the translator as s/he explores the infinite creative potential resulting from the encounter between source and target languages. This movement, triggered by the analytic frame and symbolized by what Laplanche calls the "fundamental anthropological situation" makes it possible for the patient to reignite processes frozen by infantile fixations. Can "translation" become a psychoanalytic concept, and if so, what could it mean, as opposed to existing concepts (such as symbolization or sublimation)? If one considers that the activity of translation itself is rooted in infantile sexuality and autoerotism, do we need the term "detranslation"? My research thus aims to explore the productivity of this model for psychoanalytic research. Can Laplanche's model be used not as a rigid tool but as an object of theoretical and clinical exploration... and further translation?

Abstract FR:

Cette thèse étudie le « modèle traductif » développé par Jean Laplanche à partir de sa théorisation du « primat de l'autre » dans la genèse de l'inconscient. Ce modèle s'est peu à peu forgé à partir de son travail de traduction, d'exégèse et de critique de l’œuvre de Freud. Il s'est d'autre part inspiré de la pensée de philosophes et traductologues tels Walter Benjamin ou Antoine Berman. Le « modèle traductif » est donc le produit d'une conceptualisation théorique enracinée dans l'expérience analytique en même temps qu'une réflexion sur le caractère indissociable de la clinique et de la théorie en donnant consistance à la notion de pulsion, qui, dit Laplanche, n'est pas un « être mythique ». L'un des objectifs de cette thèse est aussi de montrer comment la mise à l'épreuve de la théorie de Laplanche peut et doit aussi passer par l'écriture clinique, en elle-même épreuve de traduction et de théorisation pour tout praticien. C'est en effet à partir de ma propre expérience de traductrice et de psychologue-psychanalyste que je me suis engagée dans ce travail de recherche. Pour expliquer la genèse de l'inconscient refoulé individuel, Jean Laplanche s'est concentré surtout sur les premiers textes de Freud, du Projet d'une psychologie (1895) aux textes de la Metapsychologie (1915). Il arrive progressivement à l'idée d'une « pulsion de traduction » née de la rencontre entre l'infans et l'adulte qui s'en occupe, le Nebenmensch évoqué par Freud en 1895. Une traduction « infraverbale » qui porte sur des « messages énigmatiques », non nécessairement verbaux, venus de l'adulte et « compromis » par son sexuel infantile. Dans « La pulsion et son objet-source » (1984), Laplanche critique l'idée freudienne de la pulsion comme « concept limite » entre somatique et psychique. Il conçoit le corps non pas comme la source de la pulsion, mais comme subissant l'action des « intraduits » du refoulement originaire qui « poussent » de ce fait à de nouvelles tentatives de « traduction », c'est-à-dire de liaison et de symbolisation. La question qui se pose est donc la suivante : peut-on penser la traduction à la fois comme origine et destin de la pulsion ? Les exemples cliniques donnés ici sont centrés sur ce que Laplanche a appelé le mouvement de « traduction-détraduction-retraduction », l'accent étant mis sur la « détraduction » rendue possible, dans le transfert et l'après-coup, par la mise en place du cadre analytique. Cette mise en mouvement peut être vue comme l'amorce d'un mouvement d'ouverture-fermeture psychique remettant en route des processus de sublimation gelés par des fixations infantiles. Ce point de vue permet à l'analyste de repérer les moments de régression formelle, d'« aller-retour » entre processus primaire et secondaire : ce mouvement empreint de plaisir sexuel infantile est caractéristique de l'expérience interne du traducteur, qui fait appel à un « au-delà » du langage pour saisir la cohérence interne, la puissance affective du texte à traduire. La question que je pose donc dans cette thèse en « faisant travailler » la pensée de Laplanche est celle d'une acception psychanalytique du terme de traduction, c'est-à-dire de son potentiel comme outil de pensée, tout particulièrement pour ce qui est du travail de la pulsion dans le transfert. La notion de traduction nous aide-t-elle en ce sens ? Doit-on la penser uniquement comme liaison et symbolisation ? La traduction n'est-elle pas aussi décomposition et déliaison ? Comment rendre compte cliniquement d'une "translating cure", au sens large ? La clinique d'adolescents ou de patients bilingues, par exemple, devient paradoxalement métaphore d'un travail de traduction qui ne se confond pas avec la verbalisation, un travail ouvrant sur la plasticité de la pensée. La situation clinique elle-même suscite-t-elle une « pulsion sexuelle de traduction » qui peut se sublimer en un travail de « traduction » proprement dit, ouvrant sur véritablement sur l'autre ?