Malgré les adultes : une ethnographie des situations non scolaires d'apprentissage chez les riverains du bas-Tapajós (Amazonie brésilienne)
Institution:
Sorbonne Paris CitéDisciplines:
Directors:
Abstract EN:
In this thesis I analyze learning practices that take place in the everyday life (outside of school or other institutional setting) of three villages in the Amazonian region of the Tapajós River basin in Brazil. I examine, particularly, the transmission of practical knowledge (hunting, fishing, agricultural tasks), the art of storytelling, the sense of hierarchy and the acquisition of emotional control. In depth observation of interactions between more experimented persons and novices, whatever their age, reveal a way of learning that can seem paradoxical. While the learners may be keen participant observers, more experimented persons, who serve as role models somewhat despite themselves, display little interest in collaborating with novices or evince much empathy for them. Mistakes are scarcely tolerated. Clumsiness or bungling immediately trigger sarcastic comments from the more experienced, who position themselves as "masters knowledge", a knowledge they share with parsimony, only when their immediate interest is at stake. The hypothesis that stems from my fieldwork is that this unusual learning modality can only be understood if we consider broader aspects of social relationships among peoples of the Tapajós ; relations that are marked by hierarchy between generations and an interactional style tinted with antagonism and mockery. The way of learning I named "despite adults" contribute decisively to the novices' acquisition of valued competences. These competences are directly implied in the construction of personhood among the river-dwellers of the Tapajós, even if they don't appear in any of the divers representations they make of themselves.
Abstract FR:
Dans cette étude ethnographique menée dans les villages ruraux du bas-Tapajós (commune de Santarém, Amazonie brésilienne), j'examine comment, en l'absence de transmission explicite, sont acquis les savoirs pratiques, l'art du récit, le sens de la hiérarchie et la maîtrise émotionnelle. L'observation fine des interactions entre les personnes plus expérimentées et les novices, quel que soit leur âge, permet d'établir une modalité propre à ces populations dont la pédagogie peut paraître paradoxale. Les plus expérimentés ne font rien pour faciliter la tâche aux novices, ils n'ont aucune attitude pédagogique à proprement parler, si ce n'est précisément de multiplier les obstacles de diverses manières, y compris en leur interdisant souvent de participer aux activités. En somme, le novice n'a le droit d'intégrer une activité que lorsqu'il l'a maîtrise suffisamment, aux yeux des personnes plus expérimentées qui la mènent. L'erreur est très peu tolérée. Les maladresses ou gaucheries sont immédiatement sanctionnées par le sarcasme mordant des plus expérimentés, qui se positionnent comme les « maîtres du savoir », un savoir dont ils gardent jalousement l'accès et qu'ils ne partagent qu'avec parcimonie, lorsque leur intérêt immédiat en dépend. L'hypothèse qui résulte de mon enquête est que cette modalité singulière de transmission doit se comprendre en fonction du contexte culturel du Tapajós dans lequel elle s'insère ; un contexte marqué par la hiérarchie intergénérationnelle et par un style relationnel empreint de dérision et d'antagonisme. La modalité de l'apprentissage que j'ai appelée « malgré les adultes » contribue de manière décisive à ce que le novice acquière des compétences valorisées au sein de ce groupe. Ces compétences sont indispensables à la construction de la personne chez des riverains du Tapajós, même si elles n'apparaissent pas dans les diverses représentations explicites que ces riverains se font de leur propre « culture ».