thesis

La qualification par les enseignants de collège : construction, justification et protection : esquisse d'une sociologie pragmatique du jugement enseignant

Defense date:

Dec. 7, 2018

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Institution:

Lyon

Disciplines:

Authors:

Abstract EN:

In a meritocratic society, which reserves its most desirable positions for its most deserving individuals, school assessment occupies a central position. By its function of selection, assessment leads indeed to the distribution of individuals over different specialisations and, in fine, to their various professional statuses. In line with current legislation, it is teachers who are responsible for carrying out school assessment. The exploratory enquiry leads us to focus on teacher judgement: the construction of teachers’ educational judgements is not based on the simple application of evaluation techniques but entails ordinary means of judgement. One of the aspects of teacher judgement is its being constantly subjected to the possibility of criticism, coming from various categories of individuals. This research consists in an analysis of what, within school activity, enables teachers to arm themselves against criticism, to anticipate it and to manage it.A study of the scientific literature shows that the question of teacher judgement emerges as a scientific problem during the 20th century, out of an empirical observation of its weaknesses. Successive research has standardised little by little from the normative view to construct explanatory models of educational assessment as a social phenomenon, by exploiting the resources of the social sciences. A more recent movement, the pursuit of which this work takes up, adopts a more overall posture, leaving a wide margin for the subjectivity of teachers. The latter, building up their judgement during interaction experienced in the framework of their day-to-day work, two sociological currents are at play: firstly, pragmatic sociology, of which one of the central concepts, the test, allows for the description and analysis of the work of defining students within the teaching framework; secondly the symbolic interactionism of Erving Goffman.The gathering of qualitative data is inspired by ethnographic methods. The work of judgement of 11 junior secondary school teachers from the Lille metropolitan area was observed and discussed in interviews leading to exploration of practices. The analysis of data favours inductive reasoning based on the grounded theory method.Results are ordered according to two main ideas: Firstly, the fact that the students are qualified within in the framework of tests, in the pragmatic sociological sense of the word, that is to say interactions aimed at an agreement on the qualification of the human being or object. The tests are conducted with reference to principles of justice and by engaging objects or individuals in the situation that can be requalified during the test. The qualification of students demands therefore, on a teacher’s part, the constitution of a sufficiently strong system on which to rely during tests, if he or she wishes to guarantee the legitimacy of his/her judgment.Secondly, among all the tests for qualifying students, the assessment carried out by teachers is an attempt to industrialise their ordinary judgment. School assessment is made up of an assortment of specific tests which are difficult to challenge without disturbing a theoretical and practical construct that is both coherent and robust. In this way, assessment tests constitute an unavoidable means for the organising of teaching. These tests define procedures, offer scales of value, models of reference, a database of actions, a professional grammar, which is developed in a world oriented towards efficiency, productivity, measurement, objectivity. This attraction to an industrialised system can however block the ordinary function of judgment of the teacher, while de-legitimizing other means at his/her disposal to know his/her student and to construct learning situations.

Abstract FR:

Dans une société méritocratique, qui réserve les places sociales les plus désirables aux individus les plus méritants, l’évaluation scolaire occupe une place centrale. De par sa fonction de sélection, elle conduit en effet à la répartition des individus entre les filières de formation et, in fine, aux différents statuts professionnels. Selon la réglementation en vigueur, ce sont les enseignants qui sont chargés d’effectuer l’évaluation scolaire. L’enquête exploratoire conduit à s’intéresser au jugement des enseignants : la construction des avis scolaire des professeurs ne repose pas sur la simple application de techniques d’évaluation, mais elle met en œuvre des méthodes ordinaires de jugement. Une des propriétés du jugement enseignant est d’être constamment soumis à la possibilité d’une critique, susceptible de provenir de diverses catégories d’individus. Cette recherche consiste à analyser ce qui, dans l’activité scolaire, permet aux enseignants de se prémunir contre la critique, de l’anticiper, de la maîtriser.L’étude de la littérature scientifique montre que la question du jugement enseignant se constitue en problème scientifique au cours du XXe siècle, à partir du constat empirique de ses défaillances. Les recherches successives s’émancipent peu à peu du regard normatif pour construire des modèles explicatifs de l’évaluation scolaire comme phénomène social, en puisant dans les ressources des sciences sociales. Un mouvement plus récent, dans la continuité duquel ce travail s’insère, adopte une posture plus compréhensive, en laissant une large place à la subjectivité des professeurs. Ces derniers construisant leur jugement lors des interactions vécues dans le cadre de leur travail ordinaire, deux courants sociologiques sont convoqués : premièrement, la sociologie pragmatique, dont un des concepts centraux, l’épreuve, permet de décrire et d’analyser le travail de qualification des élèves dans le cadre pédagogique ; deuxièmement, l’interactionnisme symbolique d’Erving Goffman. Le recueil des données qualitatives s’inspire des méthodes ethnographiques. Le travail de jugement de onze enseignants de collège de l’agglomération de Lille a été observé et a fait l’objet d’entretiens conduisant à l’explicitation des pratiques. L’analyse des données privilégie un raisonnement inductif fondé sur la méthode de théorisation ancrée.Les résultats se déclinent selon deux idées principales. Premièrement, le fait que les élèves sont qualifiés dans le cadre d’épreuves, au sens de la sociologie pragmatique, c’est-à-dire d’interactions visant à un accord sur la qualification d’un être humain ou d’un objet. Les épreuves sont conduites en référence à des principes de justice et par l’engagement dans la situation d’objets ou d’individus qui peuvent être requalifiés au cours de l’épreuve. La qualification des élèves demande donc, de la part du professeur, la constitution d’un dispositif assez solide, sur lequel s’appuyer lors des épreuves, s’il veut garantir la légitimité de son jugement. Deuxièmement, parmi toutes les épreuves de qualification des élèves, l’évaluation pratiquée par les professeurs est une tentative d’industrialisation du jugement ordinaire des enseignants. L’évaluation scolaire est identifiée à un ensemble spécifique d’épreuves difficiles à contester sans remettre en cause une construction théorique et pratique, à la fois cohérente et robuste. En ceci, les épreuves évaluatives constituent un point d’appui incontournable pour la conduite du travail enseignant. Elles définissent des procédures, proposent des étalons de valeur, des modèles de référence, un répertoire d’actions, une grammaire professionnelle, qui se déploient dans un monde tourné vers l’efficacité, le rendement, la mesure, l’objectivité. Cette attraction industrielle peut toutefois entraver la conduite ordinaire du jugement enseignant, en délégitimant d’autres moyens dont il dispose pour connaître ses élèves et construire les situations d’apprentissage.