thesis

Ce que nous aurions perdu : anthropologie de la crise en Géorgie postsoviétique (1991-2015)

Defense date:

Dec. 19, 2018

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Abstract EN:

This research focuses on the recomposition of moral economies in Georgia related to the deep economic and political crisis that has affected and is still affecting this new state. When the Soviet Union fell, Georgia's economy collapsed abruptly as its state institutions weakened drastically and two separatist wars and a civil war broke out on its territory. As a result, socialities, especially those of families and friends, have been disrupted. In this work, we analyse the structural crises as well as the recomposition of these social links. Our analyses are based on a three-year ethnographic survey of a downgraded and precarious urban population. The latter is prone to labour migration, which is highly feminised in Georgia and affected by numerous over-indebtedness. We show how these two phenomena, which affect biographical temporalities and risk-taking, are articulated with a broader sense of rupture and historical loss whose memory is reworked to try to make a new bond again. We develop the thesis according to which the articulation between these different figures of the crisis has led to a reconfiguration of trust and reciprocal giving practices. These occur in a context of a break with gender norms that crystallizes around female migration and the failure of the male role as the breadwinner of the family's economy. Finally, we show how these recompositions lead to a tightening of family solidarity on the maternal filial bond which, through its asymmetry and sometimes even through its immorality, fully reflects the compensatory reinterpretations of gender ethos such as the enhancement of a certain tragic masculinity and that of feminine sacrificial giving. The moral and economic obligations inherent in this link allow socialities to be revisited more broadly in order to deal with the post-Soviet Georgian crisis.

Abstract FR:

Cette recherche porte sur les recompositions des économies morales en Géorgie liées à la crise économique et politique profonde qu’a traversée et traverse encore ce nouvel État. À la chute de l’Union Soviétique, l’économie de la Géorgie s’est effondrée brutalement tandis que ses institutions étatiques s’affaiblissaient drastiquement et qu’éclataient sur son territoire deux guerres séparatistes et une guerre civile. Les socialités, notamment familiales et amicales, en ont été bouleversées. Dans ce travail, nous analysons les crises structurelles ainsi que les recompositions de ces liens sociaux. Nos analyses sont fondées sur une enquête ethnographique de trois années menée auprès d’une population urbaine déclassée et précarisée. Celle-ci est encline aux migrations de travail, fortement féminisées en Géorgie, et touchée par de nombreux surendettements. Nous montrons comment ces deux phénomènes, qui touchent aux temporalités biographiques et aux prises de risques, s’articulent à un sentiment plus large de rupture et de perte historique dont la mémoire est retravaillée pour tenter de faire lien à nouveau. Nous développons la thèse selon laquelle l’articulation entre ces différentes figures de la crise a entraîné une reconfiguration de la confiance et des pratiques de dons réciproques. Celles-ci interviennent dans un contexte de rupture avec les normes de genre qui se cristallise notamment autour de la migration féminine et de la défaillance du rôle masculin comme pourvoyeur économique de la famille. Nous montrons enfin que ces recompositions entraînent un resserrement des solidarités familiales sur le lien filial maternel qui, par son asymétrie et parfois par son immoralité-même, fait jouer pleinement les réinterprétations compensatoires des ethos de genre telles que la valorisation d’un certain tragique masculin et celle du don sacrificiel féminin. Les obligations morales et économiques inhérentes à ce lien permettent plus largement aux socialités d’être revisitées afin de composer avec la crise postsoviétique géorgienne.