thesis

L'or et l'argent : identifications dynastiques et relations hiérarchiques dans les royautés sakalava de Madagascar

Defense date:

Dec. 9, 2020

Edit

Institution:

Paris, EHESS

Abstract EN:

History is often told by the victors. Even the history of the defeated is recounted either by the victors or by those survivors amongst the defeated who find themselves seated on the victor’s throne. Such is the case with the history of the Zafinifotsy, or "descendants of silver", to whom this study is dedicated. Identified, by a historiographical tradition, as belonging to a minor branch of Sakalava royalty, defeated by the "descendants of gold", these descendants of silver founded a new kingdom to the north of Madagascar in the middle of the 18th century: the Antankaraña kingdom. However, a number of these descendants of silver committed suicide by drowning themselves in a bay on the northwestern coast of the island. In this region, currently ruled by a monarchy of the descendants of gold (Zafinimena), a cult of possession is practiced to honour the spirits of these drowned nobles of the silver, former rivals of the rulers of gold. Faced with the political and economic crisis that Madagascar has undergone for the last several years, clan groups and political actors negotiate their legitimacy and current position in the post-colonial context of the Malagasy republican state through these dynastic categories of gold and silver. In carrying out royal rituals, the descendants of slaves and the servants of Sakalava royalty claim a conception of loyalty and work that differs from that imposed first by colonisation and then by the postcolonial state. National government representatives, on the other hand, draw on their aristocratic origins, and more generally on the history of kings, to legitimise their controversial power amongst the population. It is the ideology of royal power and social hierarchy mobilised by these actors that this thesis examines.Through the study of oral traditions and ritual activities in the different villages where this cult is performed, I analyse the historical and ritual relations between the dynastic or clan groups participants belong to. In visiting these different sites and, more broadly, the main historical capitals of the Sakalava royalty, I have realised a regressive history of the royal dynasties in question. The regressive history, inspired by the work of Marc Bloch and Nathan Wachtel, has revealed, on the basis of the contradictions emerging from oral traditions and ritual interactions, that these royal dynasties were originally functional and relative categories used to organise royal succession. This framework grants the descendants of gold the power to reign, and the descendants of silver that of legitimising the power of the former. This ambivalent hierarchy between these two categories of nobles is, moreover, shaped by the joking relationships that link the stranger kings of gold to the masters of the earth. It is at particular historical junctures that these structural and contextual categories crystallised into dynastic designations. This process of dynastisation was primarily driven by the descendants of silver who founded the Antankaraña kingdom, i.e. those who, defeated in ancient times, took to the throne of the victor. This ethnographic example therefore represents a concrete case of the "structure of the conjuncture" theorised by Marshall Sahlins.In conclusion, this study shines a new light on the founding and organisational mechanisms of Sakalava royal power, as well as the functional and structural character of these categories of "gold" and "silver", reified into effective dynastic groups in particular historical conjunctures. More generally, this thesis provides insight into the relational and contextual nature of hierarchy and individual and collective identities in Madagascar.

Abstract FR:

L’histoire est souvent racontée par les vainqueurs. Même lorsqu’il s’agit de l’histoire des vaincus, ce sont ou bien les vainqueurs qui la rapportent, ou bien les vaincus survivants assis sur le trône des vainqueurs qui la relatent. Tel est le cas de l’histoire des Zafinifotsy, des « descendants de l’argent », auxquels cette étude est consacrée. Identifiés par une tradition historiographique comme étant une branche dynastique mineure sakalava, vaincue par les « descendants de l’or », ces descendants de l’argent auraient fondé un nouveau royaume dans le nord de Madagascar au milieu du XVIIIe siècle : le royaume antankaraña. Cependant, une partie de ces descendants de l’argent se serait suicidée par noyade dans les eaux d’une baie au nord-ouest de l’île. Dans cette région, gouvernée actuellement par une royauté des descendants de l’or (Zafinimena), un culte de possession est dédié aux esprits de ces nobles de l’argent noyés, anciens rivaux des souverains de l’or. Face à la crise politique et économique que rencontre Madagascar depuis plusieurs années, c’est au travers de ces catégories dynastiques de l’or et de l’argent que des groupes claniques ainsi que des acteurs politiques négocient leur légitimité et leur position actuelle dans le contexte postcolonial de l’État républicain malgache. En s’occupant des rituels royaux, les descendants d’esclaves et les serviteurs des royautés sakalava, revendiquent une conception de loyauté et du travail différente de celle imposée d’abord par la colonisation, ensuite par l’État postcolonial. Les représentants du gouvernement national en revanche puisent dans leurs origines nobles, et plus généralement dans l’histoire des rois, pour légitimer leur pouvoir controversé au sein de la population. C’est cette idéologie du pouvoir royal et de la hiérarchie sociale mobilisée par ces acteurs que cette thèse interroge.À partir de l’étude des traditions orales et des activités rituelles dans les différents villages où ce culte est pratiqué, j’ai analysé les relations historiques et rituelles entre les groupes dynastiques ou claniques auxquels ses participants se rattachent. En effectuant un parcours à travers ces différents sites et, plus largement, à travers les principales capitales historiques des royautés sakalava, j’ai ainsi réalisé une histoire régressive de ces dynasties royales. Sur la base des contradictions ayant émergé des traditions orales et des interactions rituelles, cette histoire régressive, inspirée par les travaux de Marc Bloch et de Nathan Wachtel, a permis de révéler que ces dynasties royales sont à l’origine des catégories fonctionnelles et relatives permettant d’organiser la succession royale. Selon cette organisation, aux descendants de l’or revient le pouvoir de régner, aux descendants de l’argent, celui de légitimer rituellement le pouvoir des premiers. Cette hiérarchie ambivalente entre ces deux catégories de nobles est d’ailleurs façonnée sur les relations à plaisanterie qui lient les rois étrangers de l’or aux maîtres de la terre. C’est dans des conjonctures historiques particulières que ces catégories structurelles et contextuelles se sont cristallisées en appellations dynastiques. Ce processus de dynastisation a été initié notamment par les descendants de l’argent ayant fondé le royaume antankaraña, c’est-à-dire les anciens vaincus assis sur le trône des vainqueurs. Cet exemple ethnographique représente donc un cas concret de la « structure de la conjoncture » théorisée par Marshall Sahlins. En conclusion, cette étude montre sous un jour nouveau les mécanismes de fondation et d’organisation du pouvoir royal sakalava, ainsi que le caractère fonctionnel et structurel de ces catégories « de l’or » et « de l’argent », réifiées en groupes dynastiques réels dans des conjonctures historiques particulières. Plus généralement, cette thèse permet d’appréhender la nature relationnelle et contextuelle de la hiérarchie et des identités individuelles et collectives à Madagascar.