L'expérience des mères célibataires en Tunisie : du récit aux droits (éthique, violence, citoyenneté)
Institution:
Paris, EHESSDisciplines:
Directors:
Abstract EN:
Through a phenomenological approach based on first-person narrative, this thesis investigates the experiences of women who are unwed mothers in Tunisia. The question addressed is what Michael Jackson has called “the struggle for being”: the constant effort to cope with and negotiate life events in search of “some sense of balance between being an actor and being acted upon”.Pregnancy and single motherhood are configured as a loss of status (disgrace), as the woman in most cases compromises relations with her kin, and loses her job and her home. Drawing on concepts from Pierre Bourdieu, these individual journeys can be described as a downward movement in which she loses her position in the social field – along with her material and symbolic capital – due to the fact that she has not followed “the sense of the game”, that of motherhood within marriage. However, at the birth of the child, by her decision not to have the baby adopted and to become a mother, she takes up a position, situating herself in the social field against the supposed regularity or norm.Domestic violence following the announcement of pregnancy or birth looms large in women’s experience. The theme of violence is treated through the analysis of Veena Das, who distinguishes between the violence of the originary moment, the initial outburst, and the violence that becomes a kind of atmosphere, embedded in the relations and circumstances of the present. It is in the occupation of this “atmosphere” through everyday deeds and words that – according to Das – resides the work of “domestication” and of transforming violence into life, into something new. Time is the factor that allows women to reoccupy their lives and “the wounds” of the past, in a precise sense: that of a rhythm and a routine gradually regained. This is achieved through actions such as living in a place (home), working, looking after the child and managing relationships with relatives. Over time, the women recover their status position in the social field.Looked at closely, every life experience tells us about the inescapable problem of gender inequality. Far from being just one aspect of kin relationships, it is the key element that characterizes the position of these women in the public space, and leads to consequences in the private and family sphere. They are marginalized and invisible; in the words of Hannah Arendt, they are not political subjects because they cannot appear in speech and action. Their strategies of “self-protection” remain purely personal efforts to construct a life ethic in order to push back against discrimination, and prove to be limited in scope. The real issue lies in public policies, administrative practices and the non-application of the law that determine a diminished form of citizenship, with concrete consequences in terms of the exercise of fundamental rights and access to health and social services. Ultimately, for single mothers, what is at stake is to be treated with respect, as full citizens and on an equal basis with men.
Abstract FR:
A travers une approche phénoménologique basée sur des récits à la première personne, la thèse enquête sur les expériences des femmes qui sont mères célibataires en Tunisie. La question abordée est celle que Michael Jackson a appelé “la lutte pour être” (the struggle for being), c’est-à-dire l’ensemble des efforts et des négociations avec les évènements pour trouver un certain équilibre entre “être acteur” et “être agi”. La grossesse et la maternité célibataire se présentent comme une chute statutaire (disgrace) car la femme, dans la plupart des cas, compromet les liens avec ses proches et perd également son travail et son logement. En s’appuyant sur des concepts de Pierre Bourdieu, ces parcours individuels peuvent être décrits comme un mouvement descendant au cours duquel elle perd sa position dans le champ social – avec son capital matériel et symbolique – du fait qu’elle n’a pas suivi le ”sens du jeu” de la maternité selon lequel la maternité n’intervient que dans le mariage. Cependant, à la naissance de l’enfant, par sa décision de ne pas le donner en adoption et de devenir mère, elle prend position, c’est-à-dire qu’elle a un positionnement dans le champ social qui va à l’encontre de ce qui est censé être la régularité, ou la norme. Loin des schémas de la reproduction sociale, son comportement affirme les possibilités de la liberté individuelle et ouvre un questionnement sur l’éthique, portant tant sur les choix individuels que sur les morales différenciées de ceux et celles qui l’entourent.La violence familiale qui suit l’annonce de la grossesse ou la naissance de l’enfant occupe une place importante dans l’expérience de beaucoup de femmes. Le thème de la violence est traité sur la base de l’analyse de l’anthropologue Veena Das qui fait une distinction entre la violence comme “moment originel”, celui de l’éclatement, et la violence qui devient “une sorte d’atmosphère” mêlée aux relations et aux circonstances du présent. C’est dans l’occupation de cette “atmosphère”, à travers les actes et les mots du quotidien que – selon Das – demeure le travail de “domestication” et de transformation de la violence en vie, en quelque chose de nouveau. Le temps est le facteur qui permet aux femmes de réoccuper leur vie et de guérir “les blessures” du passé, en suivant des modalités précises : celle d’un rythme et d’une routine progressivement retrouvés. Cela se réalise par des actions comme habiter un lieu (logement), travailler, soigner son enfant et gérer les relations avec les proches. Avec le temps elles récupèrent leur position statutaire dans le champ social.A observer de près, toute expérience de vie relate l’incontournable problème de l’inégalité de genre. Loin d’être un aspect des rapports entre proches, il s’agit plutôt de l’élément fondamental, caractéristique de la position de ces femmes dans l’espace public, lequel a ses conséquences dans la sphère privée et familiale. Elles sont marginalisées et invisibles et, selon les termes de Hannah Arendt, elles ne sont pas considérées comme des sujets politiques car elles ne peuvent pas apparaitre par leur parole et leur action dans l’espace public. Elles mettent en place des stratégies d’autoprotection pour se construire une éthique de vie en réaction à la discrimination qu’elles subissent, mais celles-ci n’ont qu’une portée limitée. En effet, ce sont les politiques publiques, les pratiques administratives et la non-application de la loi qui déterminent une appartenance citoyenne diminuée pour ces femmes, avec des retombées concrètes en ce qui concerne l’exercice de leurs droits fondamentaux, tels l’accès aux services de santé et sociaux. Finalement, pour les mères célibataires, l’enjeu est d’être traitées avec respect comme citoyennes à part entière et sur un plan d’égalité avec les hommes.