De l'arbre à la pirogue : la navigation comme fait premier de la civilisation amérindienne
Institution:
Paris, EHESSDisciplines:
Directors:
Abstract EN:
Native American culture is marked by the presence of artifacts that require analysis not only in terms of their function as tools but also in relation to the semantic structures of which they are the expression. The Amerindian dugout canoe, the object of this research, thus offers a fine example of this possible overcoming of the common understanding about materiality. We will consider the canoe ontological deployment beyond its initial determination as a means of transport, a deployment that is, as the same time, to be consider as an emphasis of its transformational value. To do this, we will first focus on morphological considerations. The Caribbean area of the time of the first contacts, a real "gateway" for the study of Amerindian navigation, serves us as a laboratory to seize the reasons for maintaining the hollowed tree trunk technology in a maritime environment where, at first sight, it isn’t well adapted. The result is a continuity - understood in relation to semantic structures - that is strongly different from the cultural ecologism that prevails among archaeologists of the Caribbean archipelago. In order to test the hypothesis of transcontinental continuance, it is necessary to break out of the deadlock created by the historicity in which the Amerindian Antilles are locked and to look back at a contemporary, or quasi-contemporary, ethnography. To do this, we chose the Tukano groups of northwestern Amazon. In the second part of this work, technical gestures, social organization, economic models, canoe reuse practices and the creation myths will be examined, as well as the integration of navigation into the seasonal cycles of fishing, harvesting and agriculture. Our aim is to show how deeply these elements are rooted in the mastery of astronomical and geographical knowledge, the latter being traced by the hydrographic network. The internalization of the dugout canoe "techno-phenomenological" system and, consequently, the river and maritime navigation, acquire the rank of a decisive conquest for Amerindian civilization as a whole. A new examination, based on several Tukano narratives, of the mythical motif of the "canoe trip of the moon and the sun" - dear to Cl. Lévi-Straus - , has made it possible to better understand these "objects-forms" that are the dugout canoes as well as to better apprehend the multiple semantic spreads of the art of navigation that is not only located at the intersection of the technical, mythico-ritual and domestic-culinary forms of the New World, but also at one of its most contested geographical hubs, namely the Caribbean.
Abstract FR:
La culture amérindienne est jalonnée par la présence d’artefacts qui appelle une analyse conduite non seulement au regard de leur fonction d’outils mais également en rapport avec les structures sémantiques dont ils sont l’expression. La pirogue monoxyle amérindienne, objet de la présente recherche, offre ainsi un bel exemple de ce dépassement possible du sens commun canoniquement associé à la matérialité. Nous nous efforçons ici d’envisager un déploiement ontologique de l’objet pirogue qui dépasse sa détermination initiale comme moyen de transport, déploiement qui se confond avec une mise en relief de sa valeur transformationnelle. Pour ce faire, nous nous appuierons, dans un premier temps, sur des considérations d’ordre morphologique. L’aire Caraïbe de l’époque des premiers contacts, véritable « porte d’entrée » pour l’étude de la navigation amérindienne, nous sert de laboratoire afin de saisir les raisons du maintien de la technique de l’arbre fouillé dans un environnement maritime où, à première vue, elle est peu adaptée. Il en ressort une continuité — comprise en relation avec des structures d’ordre sémantiques — qui se démarque fortement de l’écologisme culturel dominant chez les archéologues de l’archipel caribéen. Afin de tester l’hypothèse de la continuité transcontinentale, il convient de s’extraire de l’impasse que crée l’historicité exacerbée dans laquelle sont enfermées les Antilles amérindiennes et de faire retour sur une ethnographie contemporaine, ou quasi-contemporaine. Le choix s’est porté sur les sociétés Tukano du nord-ouest amazonien. Le geste technique, l’organisation sociale, les modèles économiques, voire les pratiques de réemploi de la pirogue ainsi que les récits de création, font l’objet dans la deuxième partie de ce travail d’une réévaluation, tout comme l’intégration de la navigation dans les cycles saisonniers de pêche, de cueillette et d’agriculture. On montre combien ceux-ci sont profondément ancrés tantôt dans la maîtrise du savoir astronomique, tantôt dans une connaissance géographique décalquée sur celle du réseau hydrographique. L’intériorisation du système « techno-phénoménologique » sous-jacent à la pirogue monoxyle et, par voie de conséquence, à la navigation fluviale et maritime, acquiert alors le rang d’une conquête décisive pour la civilisation amérindienne dans son ensemble. Un nouvel examen, à partir de plusieurs narrations Tukano, du motif mythique du « voyage en pirogue de la lune et du soleil » - motif cher à Cl. Lévi-Strauss - a permis de mieux comprendre ces «objets-formes» que sont les pirogues et de mieux saisir les multiples étalements sémantiques de l’art de la navigation qui se situe non seulement à la croisée des formes techniques, mythico-rituelles et domestico-culinaires du Nouveau-Monde, mais aussi à l’un de ses carrefours géographiques parmi les plus disputés, autrement dit les Caraïbes.