thesis

Le dire et le désir : une ethnographie des usages affectifs et politiques de la parole chez les Wampis (Amazonie péruvienne)

Defense date:

Dec. 19, 2019

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Institution:

Paris, EHESS

Authors:

Abstract EN:

The Wampis belong to a language family known as Jivaro and reside in the northern Peruvian Amazon. From the 1950s onwards, their settlements have undergone a nucleation process into villages, driven by Christian missionaries, which transformed the hitherto sporadic distribution of houses on their territory. Following a vast agrarian reform carried out by the Peruvian government, the 1974 Indigenous Communities Act granted these villages with common property titles over a plot of forestland to carry out their subsistence activities (hunting, fishing, horticulture). As a condition for obtaining these titles, the law requires the election of a steering committee headed by a president. This newly established access to property has led to the emergence of a state-like hierarchical structure within the Wampis collective. Inspired by this governance model, three hundred Wampis leaders proclaimed the birth of the Wampis Nation Territorial Autonomous Government (GTANW) in 2015, not recognized by the Peruvian central state. This government places under its jurisdiction the "ancestral" territory, encompassing all Wampis communal properties. Yet this political organization, presented as necessary to defend the territory from extractive ambitions and the pollution they generate, creates a tension with respect to these individuals and their families’ atavistic attachment to autonomy. Indeed, they spontaneously refuse to submit to the authority of a non-consanguineous person.Being autonomous, that is, being able to follow and fulfill one’s desires, is an ideal of personal achievement that is actively sought, as illustrated by the ritual quests of a powerful Arutam spirit. A successful quest, carried out with the use of psychotropic plants, grants an individual with the spirit’s power and the strength to achieve personal ambitions (studying, starting a family, working in a paid job or becoming a political leader). The spirit can also transmit magical Anen songs to the seeker. These secretly uttered incantations have the power to influence the addressee’s thoughts, emotions and actions in order to satisfy the singer’s desires. Their postulated effectiveness rests on specific pragmatic and emotional conditions that the singer must strive to reproduce with each recitation.My investigation compares two distinctive modalities of speech use that my hosts employ to shape their relational network and leadership: ritual speech and political speech. The ritual speech of the Anen songs is used in secret to satisfy the desires and needs of individuals. It serves personal fulfillment. Public political speech aims at defending the common interests by confronting individual speaking skills. The political speech must serve the realization of the collective or, more exactly, must serve individual realization by the medium of collective realization. In both contexts, the speakers are primarily concerned with the emotional effects of their words on the addressees. My thesis argues that, by reproducing the pragmatic and emotional conditions necessary for the effectiveness of Anen songs, the leader tries to give his speeches the same performative force as that of incantations. Through a pragmatic analysis of the uses of speech, integrating their emotional dimension, I show that my hosts provide an original answer to the existing tension between autonomy and state hierarchical organization: the chief is only legitimate if he is powerful enough to give others, through his own speech, the strength, courage and skills to fulfill their desires and to be leaders. The leader produces political rivals. Therefore, to maintain his power, the Wampis leader must establish the conditions for his own dismissal.

Abstract FR:

Les Wampis appartiennent à l’ensemble linguistique dit jivaro et résident au nord-ouest de l’Amazonie péruvienne. À partir des années 1950, leur habitat connaît une nucléation en villages, impulsée par des missionnaires chrétiens, qui remplace une distribution sporadique des maisons sur le territoire. Consécutive à une vaste réforme agraire portée par le gouvernement péruvien, la loi des communautés autochtones de 1974 octroie à ces villages des titres de propriété commune leur permettant de jouir collectivement d’une parcelle d’espace forestier pour leurs activités de subsistance (chasse, pêche, horticulture). Cette loi conditionne l’obtention des titres à l’élection d’un comité directeur dirigé par un président. Ce nouvel accès à la propriété a entrainé l’apparition d’une structure hiérarchique de type étatique au sein de ce collectif. Inspirés par ce modèle de gouvernance, trois-cents leaders wampis ont proclamé la naissance du Gouvernement Territorial Autonome de la Nation Wampis (GTANW) en 2015, non reconnu par l’État péruvien. Ce gouvernement place sous sa juridiction le territoire « ancestral », englobant toutes les propriétés communales wampis. Or, ces organisations politiques de type étatiques, présentées comme nécessaires pour défendre le territoire des ambitions extractives et de la pollution qu’elles occasionnent, entrent en tension avec l’attachement atavique des individus et de leur famille à leur autonomie : ils refusent spontanément de se soumettre à l’autorité d’un non-consanguin.Être autonome, c’est-à-dire capable de suivre et de réaliser ses désirs, est un idéal d’accomplissement personnel activement recherché, comme l’illustrent les quêtes rituelles d’un esprit arutam. Une quête réussie, avec prise de plantes psychotropes, permet d’obtenir le pouvoir de l’esprit et la force de réaliser ses ambitions personnelles (faire des études, fonder une famille, exercer un métier rémunéré ou encore devenir un leader politique). L’esprit peut aussi transmettre des chants magiques anen au quêteur. Ces incantations, énoncées secrètement, ont le pouvoir d’infléchir les pensées, les émotions et les actions des allocutaires pour répondre aux souhaits du chanteur. Leur efficacité postulée repose sur des conditions pragmatiques et affectives spécifiques que le chanteur doit s’efforcer de reproduire à chaque récitation.Mon enquête met en regard deux modalités distinctes d’usage de la parole que mes hôtes emploient pour façonner leur réseau relationnel et leur leadership : une parole rituelle et une parole politique. La parole rituelle des chants anen est employée en secret pour satisfaire les désirs et besoins des individus. Elle vise la réalisation personnelle. La parole politique des discours publics défend les intérêts communs à chacun par la confrontation des aptitudes oratoires individuelles. La parole politique doit servir la réalisation du collectif ou, plus exactement, sert la réalisation individuelle par le médium de la réalisation collective. Dans ces deux contextes, les locuteurs se soucient avant tout des effets affectifs de leurs paroles sur les allocutaires. Ma thèse soutient que, en reproduisant les conditions pragmatiques et affectives nécessaires à l’efficacité des chants anen, le leader essaie de conférer à ses discours la même force performative que celle des incantations. Par une analyse pragmatique des usages de la parole, intégrant leur dimension affective, je montre que mes hôtes apportent une réponse originale à la tension existante entre autonomie et organisation hiérarchique de type étatique : le chef n’est légitime que s’il est assez puissant pour donner aux autres, par la parole, la force, le courage et les compétences de réaliser leurs désirs et d’être des leaders. Le leader produit des concurrents politiques. Pour conserver son pouvoir, le leader wampis doit instituer les conditions de sa propre destitution.