Les dynamiques de l’islam dans les lieux de l’enseignement supérieur au Sénégal
Institution:
Paris, EHESSDisciplines:
Directors:
Abstract EN:
Since the late 1980s, Muslim movements have become visible in public universities and in the Senegalese political scene. Murid or Tidjian “dahiras” (communities) and other reformist associations organize various on-campus activities, such as weekly religious meetings, Islamic conferences, Quran lessons, and prayers. In addition to the emergence of these movements at public universities, the number of private Islamic schools has also increased since the 1990s, encouraged by the former government of Abdoulaye Wade (2000–2012) and supported by partners from Arab countries. This study examined these religious dynamics at institutions of higher education. Why and how do Muslim scholars represent a growing dynamic in institutions of higher education in contemporary Senegal, and how do they contribute to the production of new knowledge and power (savoirs-pouvoirs)? The answer to this question is given in two sections: a historical construction of Senegalese Muslim scholars and their relation to politics and education; and a new generation of Muslim actors, their religious life and spheres of expression, knowledge, and power.The first part of this study focuses on the historical construction of Muslim scholars since the colonial time and their relations to politics and education. A study of the change in higher education and State politics over the past half century showed the deep transformation of Senegalese society and the recent evolution of a new type of Muslim scholar. Since the colonial time, Muslim intellectuals and “arabisants” (the Arabic-speaking elite) have played an essential role in politics in Senegal. Often intermediaries between the French colony and the Senegalese indigenous population, this elite created its own status, roles, and identity. However, with the creation of modern French institutions of higher education, a new French-speaking elite or “ku jang ekool” has emerged.Between 1960 and 1980, the University of Dakar became a place of political struggle, and students developed Marxist ideologies, although there were very few religious associations and few of the Arabic/French-speaking elite were involved in the Islamic associations. The new generation of young Muslim scholars who emerged after 1980 consisted of a completely different population, as compared with the previous generation; its members were originally from the non-elite class and attracted to the traditional religious solidarity of Sufi brotherhoods. Young, liberal, and autonomous, the new religious actors are challenging the social and cultural norms of the previous generation. This transformation explains the change in the larger Senegalese political and educational scene. In fact, new politico-religious movements developed during the ideological and sociopolitical crisis of the 1980s and 90s, and the arrival of political liberalism in 2000. During this time, the universities have become more popular and associated with the lower social classes, rooted in traditional Islamic educational spaces (Quranic schools and Sufi brotherhoods) and involved in the new political scene. However, the two generations of political/religious activists share a common characteristic: both create what we call “societal energy”, promoting a new model of society for young people who are keen to participate in social and political reform.The second part of this study, based on field observations made between 2003 and 2015, describes today’s Muslim scholars and their political and religious involvement. Our observations found great diversity in the experience of “being Muslim” among young people who navigate through different values, such as Islamic teaching, Sufi spiritualism, Western modernity, and traditional Senegalese culture. They create “shifting” corporal and spatial practices inside and outside the universities. In fact, their flexibility and liberty vis-à-vis religion and politics have created new social and political dynamics in Senegal.
Abstract FR:
Depuis la fin des années 1980, les mouvements religieux, musulmans pour la plupart, sont particulièrement visibles dans les sphères politiques sénégalaises mais aussi au sein des différents établissements d’enseignement supérieur. Autrefois caractérisés par la présence du militantisme politique de gauche, les milieux universitaires sont aujourd’hui occupés par les croyants. Les jeunes disciples mourides ou tidjianes, ou encore sûnites, emplissent les différents espaces au sein du campus, où ils organisent conférences islamiques, cours de Coran et séances de prière. En outre, un secteur d’enseignement islamique privé émerge en dehors des universités laïques. Basée sur un travail de terrain de longue durée (2003-2009 puis 2010-2015), notre étude vise à mettre en lumière ces différentes dynamiques religieuses au sein des lieux d’enseignement supérieur, que ce soient les universités laïques ou les établissements islamiques. Cette thèse s’articule en deux parties : la première consiste à étudier la construction historique des différentes figures de lettrés musulmans et leurs lieux de savoirs-pouvoirs au Sénégal ; la deuxième analyse la vie religieuse des « étudiants musulmans » d’aujourd’hui, ainsi que leurs sphères d’expression à la fois académique et religieuse.Notre analyse sur la transformation des figures de lettrés musulmans, depuis un demi-siècle, montre que la nouvelle génération se compose davantage d’individus issus de la classe populaire, à la différence de l’ancienne génération des années 1960 et 1970, regroupant surtout des militants des idéologies de gauche et des membres de l’élite universitaire ou religieuse. Les nouveaux types de mouvements religieux adoptent une forme idéologique conforme aux exigences et aux aspirations de la jeunesse sénégalaise urbaine, plus libérale et à la recherche d’autonomie par rapport aux normes sociales et politiques fondées par la génération précédente – intellectuels francophones ou « ku jang ekool » –. Ce travail met en exergue l’importance des nouveaux types de mouvements politico-religieux dans le contexte de la crise idéologique et sociopolitique des années 1980 et 1990, puis de l’arrivée du libéralisme politique et l’émergence de sphères politiques populaires dans les années 2000. Ce qui rassemble ces deux générations de militants, politiques et/ou religieux, est ce que nous avons appelé l’« énergie sociétale » : ils sont en effet les producteurs et les porteurs d’un modèle et d’une théorie qui répondent à la crise du monde, en même temps que les transformateurs de la société. Les nouveaux mouvements religieux proposent aux fidèles des lieux d’épanouissement qui les conduisent à participer au développement de la société, tout en s’appuyant sur les valeurs de l’islam.Nous avons démontré, ensuite, la diversité et la transversalité de ces jeunes musulmans, véritables producteurs de dynamiques sociales et politiques. Nous nous sommes intéressée au parcours de chaque catégorie de croyants ainsi qu’à leurs liens avec leurs environnements socioculturels : université, foyers religieux ou écoles d’enseignement de l’arabe et de l’islam. Il existe aujourd’hui en effet une grande disparité quant à la manière d’être musulman. Aussi, ces jeunes croyants sont très flexibles dans leur façon d’interpréter la religion et naviguent entre différentes sphères et valeurs, en l’occurrence l’islam normatif, le spiritualisme soufi, la modernité occidentale et la culture traditionnelle sénégalaise. Nos descriptions et analyses ont montré comment ils vivent leurs religiosités, en s’appuyant sur leurs propres valeurs de l’islam, et à travers un engagement corporel et spatial « flexible » au sein de l’université ou bien en dehors de celle-ci.