La mesure de l'être : Heidegger et le problème de la paix
Institution:
Université Clermont Auvergne (2017-2020)Disciplines:
Directors:
Abstract EN:
« Peace lies in measure ». This cryptic note, written by Heidegger at the end of World War II, sheds a unique light on his work. What kind of « peace » still remains to be reached, now that world order and understanding between nations have been restored? And from what kind of « measure » – that is not simply moral, political, or technical – should we expect it? Revealing the angst that permeates Heidegger’s whole philosophical project, those questions are among the most urgent and fearsome he left us. The only way to answer these questions is to reunite them inside his single most important question, that of Being, of its truth and its advent (Ereignis). In this work, I will argue that Being as ultimate measure gives to men and things the dimension that unites and soothes them. To recognize in Heidegger’s work a meditation on peace is not self-evident. On the contrary, such a task requires a patient rebuilding of the slow conquest by Heidegger of his own place and language, and an account of the transition from his « polemology » of the 30’s – both tragic and Heraclitean – to the attention he later paid to serenity (Gelassenheit), peace (Friede) and silent calm (Stille). In the Heideggerian philosophy, peace therefore represents a problem that cannot be tackled without considering, in its entirety, the philosophical journey following what is commonly referred to as its « turning point ». In order to clarify the problem of peace by measuring it to the concept of Being and to understand how the acting, the saying and the thinking that correspond to it find and bring a peace that morals, politics and technical mastery know nothing of and are actually hindering, one must follow Heidegger’s silent argument with the Jewish and Christian roots of our history. For it is they that bring the treacherous comfort of peace which masks the perils threatening the West and robs it of its salvation.
Abstract FR:
« La paix repose dans la mesure ». Cette énigmatique annotation, consignée par Heidegger au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, éclaire son œuvre d’une lumière singulière. Quelle « paix » s’agit-il encore d’atteindre une fois rétabli l’ordre du monde et l’entente entre les nations ? Et de quelle « mesure » faudrait-il l’attendre, qui ne soit simplement morale, politique ou technique ? Révélant l’inquiétude qui traverse l’ensemble du projet philosophique de Heidegger, ces interrogations sont parmi les plus urgentes et les plus redoutables qu’il nous laisse. Elles ne trouvent de réponse qu’à la condition de les reconduire au cœur de son unique question, celle de l’être, de sa vérité et de son avènement (Ereignis). Que l’être comme mesure dernière donne aux hommes et aux choses la dimension qui les rassemble et les apaise, tel est ce que ce travail cherche à montrer. Reconnaître dans l’œuvre heideggérienne une méditation de la paix ne va cependant pas de soi. Pareille tâche implique au contraire de reconstruire patiemment la lente conquête par Heidegger de son lieu et de sa langue propres, et de rendre compte du passage de sa « polémologie » des années 1930, à la fois tragique et héraclitéenne, à son attention plus tardive à la sérénité (Gelassenheit), à la paix (Friede) et au calme silencieux (Stille). La paix constitue ainsi, pour la pensée heideggérienne, un problème qui ne peut être affronté sans prendre en vue l’ensemble du parcours philosophique qui suit ce qu’il est convenu de nommer son « tournant ». Eclaircir le problème de la paix à la mesure de l’être et comprendre en quoi l’agir, le dire et le penser qui lui correspondent trouvent et apportent une paix dont la morale, la politique, et la maîtrise technique ignorent tout et à laquelle elles font en vérité obstacle, c’est enfin suivre la sourde explication de Heidegger avec la source juive et chrétienne de notre histoire. D’elle provient en effet à ses yeux ces consolations et contrefaçons de la paix qui masquent à l’Occident son péril et lui dérobent son salut.