Abstract FR:

Cette étude se propose de faire l'histoire du grand débat d'idées qui opposa écrivains et philosophes des Lumières d'une part, apologistes de la religion révélée d'autre part, autour de la question du fondement de la morale. L'importance de l'enjeu n'échappe à personne : qui détient donc le meilleur fondement de la morale? Qui pratique le mieux la vertu? Au-delà de nuances, voire de divergences certaines, les gens des Lumières s'accordent pour fonder la morale sur des bases laïques, rejetant comme nocive la morale établie sur les dogmes religieux. Comment caractériser les fondements de l'éthique des Lumières? On peut distinguer les fondements-principes : - l'intérêt bien compris, retenu par de nombreux penseurs, Helvetius et d'Holbach notamment, mais aussi Voltaire; - le sentiment : sentiment proprement dit, cher à Voltaire et à Rousseau, et l'amour de l'ordre, notion importante pour Mirabeau et Diderot; et les fondements-garanties : - la peur du gendarme, ou force de dissuasion des lois, fondement repris quasi unanimement par les écrivains et philosophes du XVIIIe siècle; - le dieu rémunérateur et vengeur, prône particulièrement par Voltaire. Les écrivains et philosophes du siècle jettent-ils les bases d'une nouvelle morale, plus efficace, ou n'ont-ils d'autre fin que de saper la morale tradition- nouvelle issue de l'Eglise? Détracteurs de la morale des Lumières, les apologistes ont réfuté un à un ces fondements élaborés par les gens des Lumières; Rousseau lui-même s'est fait le plus souvent l'adversaire de ses anciens amis philosophes. Les antiphilosophes accusent les Lumières d'immoralisme, mais, ironie et paradoxe de l'histoire des idées, ce sont des apologistes comme les abbés Bergier, Barruel, Gérard, le pasteur Vernes, Holland, qui ont ouvert la voie, dans leurs écrits théoriques ou dans leurs œuvres romanesques, à l'immoralisme sadien : leur polémique interprétation de la morale des Lumières et de ses fondements semble bien avoir merveilleusement préparé le terrain aux conceptions immorales du divin marquis.