Abstract FR:

Ce travail propose une analyse linguistique d'une sélection d'expressions modalisantes dans les "Essais" de Montaigne : l'adverbe d'énoncé "à l'avanture" (= peut-être) et les marqueurs évidentiels "il semble que, il me semble que, je trouve que" et "je pense que". L'objectif du travail est de démontrer que le doute est un composant de l'écriture même des "Essais", ressortissant à la structuration des énoncés : il surgit dans la distance entre le locuteur et les points de vue qu'il présente. Le cadre de nos analyses est constitué par le concept linguistique de polyphonie et le concept d'évidentialité. Ces concepts, qui précisent les rapports entre le locuteur et le(s) point(s) de vue qu'il présente, servent à cerner les réserves et les mises en doute inhérentes à la parole du locuteur dans les "Essais". Le premier chapitre mesure l'intérêt que porte Montaigne à ces expressions, en comparant leur distribution dans les "Essais" et dans une sélection de textes contemporains, après quoi nous situons les ressemblances et différences entre ce groupe d'expressions et leurs analogues dans la tradition sceptique. Le deuxième chapitre présente le cadre théorique, fondé sur le concept de polyphonie, qui régit nos analyses. Les troisième et quatrième parties consistent en l'analyse d'un corpus de dix exemples, démontrant que nos expressions sont un composant important d'une argumentation très complexe. Ces analyses particulières décrivent les principes d'une stratégie argumentative qui serait proche de l'argumentation pyrrhonienne ; elles proposent également une description linguistique de l'espèce de gradatio qui est à l'oeuvre dans les "Essais", ainsi que du fonctionnement de la citation montaignienne. Tout en évoquant donc des champs familiers aux spécialistes de Montaigne, les analyses proposées ici représentent une manière peu habituelle de lire les "Essais", visant à capter la pluralité des perspectives dans ce texte déconcertant.