Abstract FR:

L'œuvre entière de Beaumarchais est peuplée d'objets (scéniques ou non) : le dramaturge les fait passer du statut d'accessoires à celui d'objets proprement théâtraux. Une lecture rhétorique de la scène met au jour le fonctionnement complexe de ce système. Figure de la métonymie, l'objet, intimement lié aux déplacements et au jeu verbal, joue un rôle clé dans la construction dramatique, contribue à inventer une temporalité mystérieuse et un espace élastique, à faire surgir les êtres absents, à composer, à travers une esthétique de la suggestion, une illusion dramatique subtile : de façon extrêmement moderne, Beaumarchais explore les pistes du naturalisme et de la symbolisation. Figure de la métaphore, l'objet tisse des réseaux de significations apparents ou souterrains, livre les clés de l'inconscient individuel et collectif. Il sert de medium aux désirs du sujet, le tire du côté de la vérité plutôt que du côté du savoir, n'existe qu'en fonction du rapport que le sujet entretient avec lui. Figure de l'allégorie, l'objet, placé entre les mains des personnages, mis au service de dramaturgies sophistiquées, devient un puissant levier d'action sur le réel. Il permet aux êtres socialement fragiles (les femmes, les domestiques, les hommes du tiers état. . . ) d'affirmer leur présence au monde, d'affronter durement l'aristocratie et la grande bourgeoisie à travers la tourmente de l'Histoire. Fascinés par la prolifération des objets dans l'univers commercial et politique, les hommes des Lumières expérimentent le fait que savoir s'approprier les objets, les transformer, les dénaturer quand il le faut, savoir les nommer aussi, revient à asseoir sa place dans le monde. En exposant devant les yeux du spectateur cette fresque anthropologique animée par les objets, Beaumarchais le convoque comme témoin : inventer une dramaturgie des objets équivaut à proposer un mode d'emploi expérimental et critique du monde