"Hors toute intimidation" : Panurge ou la parole singulière
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Panurge, le moins estimé des personnages rabelaisiens, est souvent traité comme le faire-valoir du géant Pantagruel. Rabelais le fait cependant apparaître très fréquemment, et sous des traits si variés et si importants pour l'intrigue qu'il paraît réducteur de ne voir en Panurge qu'un actant de second ordre. Elément complexe de la trame romanesque, Panurge étonne tout d'abord par ses paroles atypiques, dont nous dégagerons les principales caractéristiques en les comparant à celles des autres personnages. Ces discours, où se rencontrent des langues de toutes origines, des pièces poétiques, des pastiches et des mélanges déconcertants, défient tous les classements. Son boniment éclectique semble alors tout proche de celui d'un narrateur. Les paroles de Panurge provoquent d'une autre manière lorsqu'elles décodent des signes (linguistiques ou non). Ses audaces interprétatives témoignent d'une habilité autant que d'une méthode inédites. La singularité du personnage tient à cette insolence herméneutique qui multiplie les gloses : elle s'engage toujours "au rebours" des attentes et des convenances sémiotiques dont elle ne peut se satisfaire. L'excentricité se mesure enfin aux actions de ce personnage paradoxal : situées entre les fourberies du gueux littéraire et les fredaines du fou de cour, elles surprennent et se dérobent aux catégories. A ce titre elles confirment le ton des discours. Leur fonction avive celle de la parole : "excuse" de Rabelais, Panurge a le rôle essentiel de permettre à son auteur d'esquiver les attaques de la censure. Toujours innocente, et pourtant très corrosive, cette voix de fiction semble reproduire dans le roman les fonctions qui sont celles de la carte du Mat dans le jeu de tarot.