Un barrage contre le vide : le travail des sensations dans l'oeuvre de Jean Giono
Institution:
Toulouse 2Disciplines:
Directors:
Abstract EN:
"Who said : un roi sans divertissement est un homme plein de misères?", such is the ending of the first Gionian chronicle, in which amazed contemporaries discovered, in 1948, a sombre or even tragic streak in Giono. Despite this reference, Giono's writings are an appeal to discover a much different bet from pascal's famous bet. One can indeed sustain that entertainment does not come forth as the shameful escapism of the man whose faith in god is insufficient but, on the contrary, as his only opportunity of rescue. Because one of Giono's keywords is the word "happiness", because, throughout his life and writings, he maintained he had a gift for happiness, the reader sometimes sticks to the deceitful image of a beaming, easy-going southerner. But, in fact, nothing is easy or Manichean in Giono's universe; his happiness is after all nothing else but the - claimed - other face of pessimism already present in his early novels. This trend was to worsen brutally with the forthcoming World War II, before turning, in 1945, into utter gloom. If happiness does exist in his life and writings, it is the outcome of a harsher and harsher struggle against the forces of the void. Sensoriality plays a decisive part in that struggle and in Giono's writings generally, even though its treatment and place evolve significantly through the years. Although in the early novels it is plethoric, in his mature writings, sensations are given lesser space but are, in our opinion, even more vital. But, on a deeper level, from "Naissance de l'Odyssée" to "L'Iris de Suse", one is still confronted - to quote J. Leroy - to "une vision du monde où la sensualité combat sans cesse le désespoir" 2. In that "vision of the world", one has to explore the gap between a philosophy of sensations, that Gionian bet which does not avoid sophrology and systematization, and his imagination, his style which, integrating all the difficulties and doubts, elaborate a fascinating object. 1 Pascal: a king without entertainment is a wretched man. 2 J. Leroy: a vision of the world where sensuality is engaged in a never-ending fight against despair.
Abstract FR:
"Qui a dit : un roi sans divertissement est un homme plein de misères ?" Telle est la clausule de la première chronique gionienne, ou les contemporains étonnés ont découvert, en 1948, un Giono sombre, voire tragique. Malgré cette référence, c'est un pari fort différent du célèbre pari pascalien que nous invitent à découvrir les œuvres de Giono. On peut, en effet, avancer que le divertissement n'y apparaît pas comme la fuite honteuse de l'homme dont la foi en Dieu est insuffisante mais, au contraire, comme sa seule planche de salut. Parce qu'un des maîtres-mots de Jean Giono est le mot bonheur, parce qu'il a proclamé à longueur de vie et d'œuvre qu'il était doué pour le bonheur, le lecteur s'en tient parfois à l'image trompeuse d'un provençal épanoui, au caractère facile. Or, rien n'est facile, rien n'est manichéen dans l'univers de Giono et son bonheur n'est finalement que le revers affiché, revendiqué, d'un pessimisme déjà lisible dans ses tout premiers romans, qui s'aggrava brutalement à l'approche de la seconde guerre mondiale pour devenir une vraie noirceur à la libération. Si le bonheur existe bien dans sa vie et son œuvre c'est le résultat d'un combat de plus en plus âpre mené contre les forces du vide. La sensorialité joue un rôle essentiel dans ce combat et, de manière générale, dans l'univers de Giono, même si son traitement et sa place évoluent sensiblement au fil des années. Alors que dans les premiers romans, elle est pléthorique, dans les textes de maturité, les sensations ont une place nettement plus restreinte quantitativement mais sont, à notre avis, plus vitales encore. Mais, au fond, de naissance de l'Odyssée à l'Iris de Suse, on aura toujours affaire, pour citer J. Leroy, à une vision du monde où la sensualité combat sans cesse le désespoir. Dans cette vision du monde, il convient d'explorer le hiatus entre une philosophie de la sensation, ce pari gionien qui fait une large place à la sophrologie et à la systématisation et un imaginaire, une écriture qui, intégrant toutes les difficultés, tous les doutes, élaborent un fascinant objet.