Le sublime et l'idée d'énergie dans les Natchez et les Martyrs de Chateaubriand
Institution:
Toulouse 2Disciplines:
Directors:
Abstract EN:
The Nineteenth century is a period which breaks with classical conventions and seems to mark the beginning of the modern age. The most important sign of this rupture is the French Revolution, which brought about a considerable upheaval in society and gave new direction to the work of many writers. That is the case for Chateaubriand, for whom the Revolution produced convulsive images in which the ugly and the beautiful merged into each other, in compliance with the aesthetic of the sublime. The same horrific scenes are found in both Les Natchez and Les Martyrs. We are plunged into a fascinating and enigmatic world, full of characters both disconcerting and upsetting, a powerful world in which all extremes come together. Chateaubriand's novelistic texts are inspired by Milton's and Burke's sublime. Energy, passion and violence override aesthetic taste. Our study consists in showing how the infernal sublime which appears simultaneously in characters, nature and writing, is also attenuated by a supernatural sublime linked to religion. Chateaubriand's characters worship exaltation in the face of misfortune. The author stresses the voluntary experience of crime, even when it is collectively justified by war. The vocabulary of the sublime leads to a theory of action and of individual transgression. The pleasure in evil is no more a paradox but the logic of the desire of power. Through his characters, Chateaubriand fathoms dark energies which animate man, and their explosion produces a sublime of terror. The author introduced the suject of crime to cause an extraordinary and shocking effect, as the notion of sublime requires ; he also tells of the devil's apparition which embodies Evil in his novels, so that the world of Les Natchez and Les Martyrs is a disorded and fantastic one. In Les Martyrs, Chateaubriand tackles crimes that society commits, and which suggest hell beneath our world. The survival of evil shows itself in awful crimes, violent behaviour and the exacerbation of desire. Terror, strength and excess are the driving forces of both our novels. The inexhaustible power of the wicked must always leads them to extreme states of mind : madness and monstrousness. The only means to present these superhuman beings is to use the image of the monster, or else those of fire and hell, which convey quasi-demoniacal characters. This transgression of law and order makes possible the creation of a man absolute in evil, such as Ondouré, and this boundless power constitutes the fondamental feature of the sublime in both works. Les Martyrs and Les Natchez point out in their own way that the most profound truth of man is revealed through emotion and violent pulsions, and not in the use of reason and wisdom. This idea of sublime also appears in nature, first impulsive, then glorified. Horrible and threatening, seas, forests and storms impress and hypnotize because of the sublime forces they contain. This monstruous sublime of nature imposes the desire for power's defeat of man. It expresses the dramatical intenseness in which man is confronted with the vertigo of his weakness and with his helplessness faced with an inhospitable nature. Parallel to this monstruous sublime, a more peacefull sublime can be found in the narration. The sublime comes to be in humbleness and simplicity, as well as in a Christian thought which wants to conciliate humility and sublime, devotion and divine greatness. In Chateaubriand's world, the sublime's poetics are never far from a religious question, in communion with God. This ideal sublime becomes especially apparent in Les Martyrs, where it is lived morally and religiously, and its purpose is to acknowledge divine law. It also leads to the evocation of nature, finally peaceful and welcoming. Chateaubriand becomes a painter, because restful sublime is for him first a delight for the senses, a visual display which causes artistic activity. Chateaubriand thus guided the sublime towards the picturesque. So, this notion does not originate solely in violence and is not always on a par with terror. Nature is the place in which a ceaseless fecondity leads to a particularly sensual reverie : sublime is in league with pleasure and grace as much as with violence and terror. It is so full of humanity that the author gives a moral and sentimental aim to the simplest beings : the flower, the bird, the insect show its vitality and unity. The natural element is perhaps an abyss, but Chateaubriand rejects the thought of chaos, and makes his texts converge at a finality : harmony. Nevertheless, although Les Natchez and Les Martyrs are the privileged crucible of the author's idealism of simplicity, Chateaubriand's thougt remains constantly preoccupied with the problem of evil, which unceasingly ruins the whole structure of humanitarian and religious idealism.
Abstract FR:
Le XIXe siècle est une époque en rupture avec les conventions classiques et semble marquer le début du monde moderne. Le signe le plus important de cette rupture est la Révolution française, qui a provoqué un bouleversement radical dans la société et donné une orientation nouvelle aux écrits de nombreux écrivains. C’est le cas de Chateaubriand, auquel la Révolution a fourni des images convulsives où se confondent, conformément à l'esthétique du sublime, les catégories du beau et du laid. Que ce soit dans Les Natchez ou Les Martyrs, on retrouve les mêmes scènes d'horreur. Nous sommes plongés dans un univers fascinant et énigmatique, peuplé de personnages à la fois troublants et inquiétants, un univers fort et puissant où se côtoient tous les extrêmes. Les textes romanesques de Chateaubriand sont inspirés du sublime miltonien et burkien. L'énergie, la passion et la violence y dominent le goût esthétique. Notre étude consiste à montrer comment le sublime infernal qui se manifeste simultanément dans les personnages, la nature et l'écriture, est aussi atténué par un sublime merveilleux de la religion. Les personnages de Chateaubriand ont le culte de l'exaltation devant le malheur. L'auteur insiste sur la pratique volontaire du crime, même quand elle est justifiée sur le plan collectif par les guerres. Le vocabulaire du sublime dans ses romans conduit ainsi à une théorie de l'action et de la transgression individuelle. Le plaisir dans le mal n'est plus un paradoxe mais la logique d'une volonté de puissance. A travers ses personnages, Chateaubriand sonde les sombres énergies qui animent l'homme, et dont l'explosion produit un sublime de la terreur. L'auteur a introduit le sujet du crime pour produire, comme l'exige la notion de sublime, un effet choquant et extraordinaire ; il raconte aussi l'intervention du diable qui incarne le Mal dans ce monde romanesque. L'univers des Natchez et des Martyrs est ainsi un monde déréglé et fantastique. Dans Les Martyrs, Chateaubriand aborde des crimes que la société commet, et qui nous font entrevoir l'enfer au dessous de ce monde. Ici, la littérature exprime la réalité du côté obscur de la vie humaine. La survivance du mal s'exprime par des crimes affreux, la violence des conduites et l'exacerbation du désir. La terreur, la force et l'excès sont les moteurs de nos deux romans. La puissance intarissable des scélérats doit toujours les conduire à des états excessifs : la folie et la monstruosité. Pour présenter ces êtres surhumains, il n'y a pas d'autres moyens que de recourir à l'image de monstre, ou encore à celle du feu et de l'enfer qui évoquent des figures presque démoniaques. Cette transgression des lois et des ordres établis rend ainsi possible la création d'un homme absolu dans le mal tel Ondouré, et cette puissance sans limite constitue le caractère essentiel du sublime dans les deux œuvres. Les Martyrs et Les Natchez indiquent ainsi à leur manière que la vérité la plus profonde de l'homme se révèle dans l'émotion et dans les pulsions excessives et non dans l'exercice de la raison et de la sagesse. Cette conception du sublime se manifeste aussi dans la nature, violente dans un premier temps et magnifiée par la suite. Horribles et menaçantes, la mer, la forêt et la tempête éblouissent et hypnotisent car elles contiennent en elles des forces sublimes. Ce sublime monstrueux de la nature inflige ainsi à l'homme la défaite de sa volonté de puissance. Il traduit l'intensité dramatique où l'homme est confronté au vertige de sa faiblesse et de son impuissance face à une nature inhospitalière. A côté de ce sublime monstrueux, se trouve un sublime plus paisible dans les récits. Le sublime se réalise aussi dans l'humilité et la simplicité et dans une pensée chrétienne qui veut concilier humilité et sublime, dévouement et grandeur divine. Dans l'univers chateaubrianesque, la poétique du sublime n'est jamais éloignée d'une interrogation religieuse, qui se limite à une communion avec Dieu. C'est surtout dans Les Martyrs que ce sublime idéal se manifeste. Le sublime y est vécu sur le plan de la morale et de la religion. Il a pour vocation la reconnaissance de la loi divine. Ce sublime idéal conduit aussi à une évocation de la nature, finalement paisible et accueillante. Chateaubriand se change en peintre, car le sublime paisible est d'abord pour lui un enchantement des sens, un faste visuel qui suscite l'activité artistique. Chateaubriand a ainsi orienté le sublime vers le pittoresque. Ainsi, cette notion n'est pas uniquement inscrite dans la violence et ne passe pas toujours par le terrifiant. La nature est le lieu d'une incessante fécondité qui conduit à une rêverie toute sensuelle : le sublime a partie liée avec le plaisir et la grâce tout autant qu'avec la violence et le terrible. Elle est si imprégnée d'humanité que l'auteur confère une finalité morale et sentimentale aux êtres les plus simples : la fleur, l'oiseau, l'insecte témoignent de la vie et de l'unité de la nature. L'élément naturel est peut-être un gouffre, mais Chateaubriand refuse la pensée du chaos, et fait converger ses récits vers une finalité qui est celle de l'harmonie. Néanmoins, bien que Les Natchez et Les Martyrs soient le creuset privilégié de l'idéalisme de la simplicité de leur auteur, la pensée de Chateaubriand reste constamment occupée par le problème du mal, qui ruine sans cesse l'édifice de l'idéalisme humanitaire et religieux.