Entre l’État, l'usine et le marché : le "problème de l'azote" en France : retour sur les débuts controversés d'une entreprise publique durant l'Entre-deux-guerres, l'Office national industriel de l'azote (1924-1940)
Institution:
Toulouse 2Disciplines:
Directors:
Abstract EN:
Faced with the new military needs created by the First World War, France was faced with the challenge of changing the structures of its chemical industry. The need for a change of scale was particularly evident in the case of nitrogen, when the country's supplies of Chilean soda nitrates were jeopardized by submarine warfare. Without the support of its allies, France might then have run out of powders and explosives. Once the armistice was signed, the political leaders encouraged the establishment of synthetic ammonia plants on national soil in order to simultaneously move towards independence in military and agricultural matters (nitrogen fertilizers). In 1924, the Office national industriel de l'Azote (ONIA) was created in Toulouse. This creation was part of the implementation of a French chemical policy that was more proactive than before. However, its content is more complex than it seems, insofar as the State does not accompany the creation of this company with a monopoly on the market, but imposes on it to cohabit with private competitors.By means of a case study devoted to the ONIA, this doctoral thesis aims to provide a socio-history of the problem raised by the nitrogen issue in France between 1918 and 1940. Through a history of a company that wants to be "total" in its approach and that strives to combine the local, national and international scales, it wishes to understand how this public office was conceived and implemented as a response to the nitrogen challenge. At the same time, retracing the industrial trajectory of ONIA should help to shed light on the issues that led to the materialisation of this response at the national level, as well as highlighting the difficulties that accompanied its realisation, whether on a technical, economic, political or social level. Because it is at the crossroads of the three entities of the State, the factory and the market, this corporate history makes it possible to question the interplay of actors that has taken shape within them and, consequently, to assess their ability to agree on the organization of such a strategic sector, where public and private interests appear to be closely intertwined. This work also aims to question the concrete results obtained by the company in the medium term and, in addition, to determine the impact that the policy initiated by the public authorities has had in covering the country's needs in nitrogen products. Was it ultimately conclusive? In this process, has ONIA confirmed the expectations placed in it? Finally, the aim of this research is to analyse the various practices deployed by the State as an employer and an industrialist within a sector that does not have a monopoly. Among other things, it is a question of assessing its ability to adapt to the requirements of a competitive economy at a time when the public authorities still have little experience in directly operating this type of business. This study on the development of the Office and its sector is therefore of interest in order to show that, in contrast to the patterns commonly accepted between the two world wars, the concept of State entrepreneurship does not seem to be opposed to that of the market or to that of possible competition with the private sector. In our case, these two logics are even closely linked within an institutional framework governed by conventions, the evolution of which shows an original mix between liberal and dirigiste principles.
Abstract FR:
Devant les nouveaux besoins militaires qu’a fait naître la Première Guerre mondiale, la France s’est trouvée devant le défi de faire évoluer les structures de son industrie chimique. La nécessité d’opérer un changement d’échelle se vérifie particulièrement dans le cas de l’azote, lorsque sous l’effet de la guerre sous-marine, les approvisionnements du pays en nitrates de soude chiliens sont mis à mal. Sans le soutien de ses alliés, la France aurait alors pu se trouver à court de poudres et d’explosifs. Une fois l’armistice signé, les dirigeants politiques encouragent l’implantation sur le sol national d’usines d’ammoniaque synthétique de manière à tendre simultanément vers l’indépendance en matière militaire et agricole (engrais azotés). En 1924, est créé à Toulouse l’Office national industriel de l’Azote (ONIA). Cette création participe de la mise en œuvre d’une politique chimique française plus volontariste qu’auparavant. Toutefois, son contenu est plus complexe qu’il n’y paraît, dans la mesure où l’État n’accompagne pas la création de cette entreprise d’un monopole sur le marché, mais impose à cette dernière de cohabiter avec des concurrents privés.Au moyen d’une étude de cas consacrée à l’ONIA, cette thèse de doctorat ambitionne de livrer une socio-histoire du problème soulevé par la question de l’azote en France entre 1918 et 1940. Par le moyen d’une histoire d’entreprise qui se veut « totale » dans son approche et qui s’efforce de conjuguer les échelles locale, nationale et internationale, elle souhaite comprendre comment cet office public a été conçu et mis en œuvre comme réponse au défi de l’azote. Retracer la trajectoire industrielle de l’ONIA doit parallèlement aider à éclairer les enjeux qui ont présidé à la matérialisation de cette réponse à l’échelon du pays, de même qu’à mettre en exergue les difficultés qui en ont accompagné la réalisation que ce soit sur le plan technique, économique, politique ou social. Parce qu’elle s’inscrit à la charnière des trois entités que sont l’État, l’usine et le marché, cette histoire d’entreprise permet d’interroger les jeux d’acteurs qui ont pris forme en leur sein et, de ce fait, d’évaluer la capacité qu’ont eu ces derniers à s’entendre sur l’organisation d’une filière aussi stratégique, où intérêts publics et intérêts privés apparaissent étroitement mêlés. Ce travail a également pour objectif de questionner les résultats concrets obtenus par l’entreprise sur le moyen terme et, en outre, de déterminer les retombées qu’a eues la politique initiée par les pouvoirs publics en ce qui concerne la couverture des besoins du pays en produits azotés. S’est-elle révélée concluante en définitive ? Dans ce processus, l’ONIA a-t-il confirmé les attentes placées en lui ? Cette recherche a pour but enfin, d’analyser les diverses pratiques déployées par l’État en tant qu’employeur et industriel au sein d’une filière dépourvue de monopole. Il s’agit entre autres, d’évaluer quelle a été sa capacité à s’adapter aux exigences d’une économie concurrentielle à une époque où les pouvoirs publics n’ont encore que peu d’expérience en matière d’exploitation directe d’affaires de ce type. Cette étude sur le développement de l’Office et de sa filière apparaît donc intéressante pour montrer qu’à rebours des schémas communément admis sur l’entre-deux-guerres, la notion d’entrepreneuriat d’État ne semble pas s’opposer à celle de marché, ni à celle d’une possible concurrence avec le secteur privé. Dans notre cas d’espèce, ces deux logiques se trouvent même étroitement liées au sein d’un cadre institutionnel régi par des conventions, et dont l’évolution donne à voir un mélange original entre des principes libéraux et des principes dirigistes.