Art et nationalisme au Chili : invention visuelle et construction symbolique d'une nation : 1810-1910
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Bordeaux 3Disciplines:
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Au XIXe siècle, le Chili adopte le régime républicain sous l'égide de l'État-nation. Quel rôle ont joué les arts dans la consolidation de ce modèle politique ? Comment les modèles esthétiques européens, notamment français, eux-mêmes conçus comme une légitimation de l'État et de ses élites, ont-ils été adaptés aux conditions locales ? Pour ce travail de recherche, notre hypothèse consiste à supposer que toute nation politique est aussi une construction culturelle et que son élaboration se manifeste à travers diverses formes d'expression artistique et littéraire dès lors que celles-ci sont particulièrement contrôlées par l'État. Dans le cas du Chili, on observe par exemple, que la présence relativement hégémonique d'un style religieux traditionnel proche du baroque s'est conjuguée avec le développement d'un imaginaire laïque, séculaire, voire nationaliste. Notre hypothèse établit alors un fil fédérateur dans l'analyse des arts visuels, et leur mise à disposition des institutions de l'État en vue de la consolidation du nouveau régime politique. Cette hypothèse signale que, si toute nation est une construction culturelle, le processus de sa construction a dû se manifester dans le maillage des différentes formes artistiques, notamment celles les plus surveillées et contrôlées par l'État. Alors, si la suprématie d'une conception mystique du monde dans l'imaginaire culturel de la période coloniale (XVIe-XIXe siècles) s'est reflétée dans l'hégémonie de la peinture hagiographique et de la sculpture sur bois, la prépondérance d'un imaginaire laïque, séculaire de type nationaliste, devrait avoir laissé son empreinte en se façonnant au service de la propagation d'une iconographie d'ordre nationaliste qui serait principalement de type historiciste et commémorative, appuyée d'abord par les formes du néo-classicisme, puis articulée sur les fondements de l'académie. L'analyse historique qualitative, appuyée sur une série temporaire de variantes, en employant une méthode de comparaison et de fréquence quantitative des flux iconographiques issus des projets officiels politiques (les commandes d'État aux artistes arrivés au Chili dès 1822, la fondation de l'Académie Nationale des Beaux-Arts en 1849, l'inauguration de l'École Nationale de Sculpture et d'Arts et Métiers en 1852 ainsi que la mise en place des Salons en 1884), devrait permettre la reconstruction du processus d'édification d'un imaginaire de type national au Chili. De même, ses caractéristiques les plus significatives permettraient, à leur tour, de détecter les conceptions formulées en tant qu'expérience artistique. À travers la presse, au Chili comme dans les autres pays du continent, les classes dirigeantes ont éveillé le peuple à la poésie, et par l'exaltation des traditions folkloriques propres à la nation, à une conscience du passé historique de la patrie. Comme il était nécessaire de développer un sentiment d'unité et d'identité à l'intérieur du territoire, ces mêmes dirigeants ont cherché à légitimer leur statut en prenant une part active dans le mécénat et le contrôle de la production artistique. La création d'une iconographie nationale a été le point de départ d'une grande campagne idéologique visant à transformer les intérêts de la collectivité bureaucratique en traditions d'ordre politique et culturel. Les portraits de l'élite se sont articulés comme des images intermédiaires entre les dirigeantes et la classe populaire. Ils ont associé l'exaltation de la patrie à travers l'identification de ces personnages qui en même temps constituaient une allégorie des nouvelles valeurs civiques. A travers ces effigies, le peuple devait s'identifier lui-même puis identifier les valeurs suprêmes de l'identité qui lui appartenait. Ces personnages (les pères de la Patrie) se sont installés comme les authentiques héritiers d'un passé commun ouvert au futur à partir d'une chilennité sur laquelle reposait le culte républicain. De même, le paysage devait accomplir la fonction d'enregistrer et de documenter les territoires et les habitants de la nouvelle nation. La problématique soulevée par cette hypothèse laisse ouverte une série d'interrogations nécessaires pour comprendre l'impact du discours politique sur le panorama de la vie artistique et culturelle du pays : d'où provient le mythe national ? Comment est-il né et comment se transforme t-il en justification du nationalisme ? Comment le paysage culturel et intellectuel chilien a-t-il été affecté par ces évolutions ? Dans quelle mesure y a t-il eu au Chili une tradition artistique, du moins au sens européen du terme ? À quel point l'iconologie, dite républicaine, est-elle permanente (ou perméable) dans le destin des arts visuels ? Nous voulons ici que le terme de nationalisme ne s'emploie pas dans un sens strictement idéologique mais davantage sur une idée plus large, plus proche du sentiment ou du mythe. Cette thèse vise à étudier plus précisément un type d'élément qui dessine un espace parallèlement à ses frontières : les réseaux qui construisent l'espace de l'État et les routes symboliques qui le traversent, permettant de créer une culture commune. Le XIXe siècle au Chili, étroitement lié à l’idéologie issue du siècle des Lumières, codifie un mythe moderne à partir de trois axes fondamentaux : a) L'esprit fondateur, socle sur lequel la République s’est consolidée, à partir de la culture politique des élites dirigeantes. Il faut rappeler qu'à la fin du XVIIIe siècle, le Chili ne possédait ni unité sociale ni unité culturelle et que la notion même de « Chili » en tant que pays n'était comprise que comme une simple désignation géographique faisant allusion à Santiago. B) L’établissement d’une « religion civile » (près de ses mythes, de ses héros et de ses pères fondateurs), en opposition à l’idée inaccomplie du rite, le concept d'identité étant encore diffus et instable. Nous parlons d'un État séculier et par conséquent, d'un projet civilisateur fondé sur les valeurs de la laïcité, d'un discours élaboré par rapport au pouvoir central, et en même temps appuyé sur la religion catholique. Si malgré la Révolution de 1789, pour certains, la France continuait d'être la fille ainée de l'église, le Chili, à travers son culte marial, s'est discrètement identifié comme la République bien-aimée de Notre-Dame du Mont-Carmel. C) La recherche de la légitimité, non seulement celle de la terre, mais aussi celle d’autres formes intermédiaires de contraintes et de dominations, recherche qui tente de marquer la transition d'un chaos primitif à un ordre fondateur. Par là-même, doit se tisser le discours d’une « tradition commune » qui aurait ses racines au-dessus du pacte colonial, ou au contraire, qui mettrait en question les réseaux du pacte néo-colonial dans lequel le symptôme de l’impérialisme et la nécessité des marchés pour la croissance industrielle sont un exemple de la manière avec laquelle naît un pays, malgré le contexte mais aussi grâce à lui. Privilégiant une méthode de classement générationnel (analyse des qualités formelles, symboles et motifs, histoire de leur création, aspects biographiques,. . . ), les histoires de l'art du Chili républicain ont été conçues à partir des biographies d'artistes locaux et aussi étrangers, ayant participé à la construction d'un imaginaire proprement chilien. Cet imaginaire était principalement inspiré par la devise du naturalisme scientifique et le positivisme, puis par le romantisme et le sentiment du national. Le fonctionnement d'un critère identitaire, élaboré sur la notion de race (critère de spiritualité ou d'expression d'une « conscience » chilienne) et ses compléments iconographiques, est pressenti comme la base de la grande entreprise apologiste du discours de l'art instrumentalisé au service d'une cause nationale. À l'intérieur de la problématique de l'art national existent plusieurs conjonctures qui doivent être abordées pour élargir le domaine de réflexion sur l'identité et les engagements de l'art à partir d'une vision ethnique. Nous croyons que la richesse de cette réflexion se trouverait dans le dialogue avec l'altérité de la production plastique chilienne, c'est à dire, que l'examen de l'histoire de l'art ne doit pas rester coincé sous une interprétation exclusivement plastique (où les artistes deviennent des héros et leurs biographies des récits fondateurs de l'histoire de l'art locale), ni écrit sur le formalisme pur et exclusif d'un inventaire ou d'un catalogue. Cet examen doit plutôt se répandre dans un sens large qui permettrait de soulever de nombreux problèmes relatifs à son identité propre et à celle de l'autre, ainsi qu'au devenir. La fondation de l'Académie Nationale de Peinture (1849) apparaît tel un résultat cohérent du projet civilisateur de la nation, s'installant comme moment fondateur et comme la matrice discursive d'un art chilien. Sa synchronie esthétique et spirituelle avec la culture européenne ne devrait pas se situer ici à l'image de l'expurgation d'une reprochable mimesis ou comme un acte privatif de l'élite chilienne. La mise en place de cette organisation découle d'un projet majeur qui s'achève avec la création du musée des Beaux-Arts, inauguré à Santiago le 18 septembre 1880. C'est ainsi qu'au Chili se sont structurées les principales institutions qui ont légitimé la production artistique : l'académie, le musée et les salons. Le concept du musée fonctionnera ici en analogie à l'idéal républicain du Louvre : il devient l'espace propre de l'État où s'enregistre l'histoire républicaine qui permet également la démocratisation des arts, c'est à dire, qui donne à la citoyenneté le droit moral de participer à l'appréciation du patrimoine artistique, même si ce patrimoine est souvent incompréhensible avec ses codes inconnus, trop loin du quotidien de la grande majorité de la population.
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